Bulletin Vert n°491
novembre — décembre 2010
L’enterrement de Madame Boussinesq
Le mathématicien-mécanicien Boussinesq, grand scientifique, perdit autrefois sa femme. L’enterrement , qui avait commencé par une journée très dégagée, se termina par une pluie battante. tout le monde fut trempé.
Il se remaria et fut veuf à nouveau. Le même phénomène météorologique se reproduisit lors des obsèques.
Lorsque sa troisième épouse mourut également, les funérailles se déroulèrent sous un ciel qui resta au beau fixe, mais tous les universitaires qui y assistaient avaient emporté un parapluie. Émile Borel (grand manitou des probabilités à la Sorbonne) se tourna vers Polya, mathématicien étranger qui se trouvait à ce moment-là en France, et il lui dit :
« écoutez Polya, n’est-ce pas lamentable ? Nous sommes des universitaires, nous ne sommes pas superstitieux, je suis probabiliste, je sais pertinemment qu’il ne peut exister aucun rapport entre la pluie et l’enterrement de Mme Boussinesq. Et cependant j’ai apporté mon parapluie.
— Pas du tout, répondit Polya, nous travaillons sur des faits scientifiques ; or c’est un fait scientifique avéré qu’il pleut souvent à l’enterrement de la femme de Boussinesq. »
Cette histoire circula quelques temps puis tomba dans l’oubli, car la plupart de ses protagonistes avaient disparu. Polya, que je rencontrai aux États-Unis en 1960, restait probablement le seul témoin de cette affaire. J’étais curieux de savoir si mes souvenirs étaient fidèles et le priai de me le confirmer, ce qu’il fit.
Je suis à présent le dernier dépositaire de cette histoire que je livre au public.
Un mathématicien aux prises avec le siècle, p. 156