Bulletin Vert n°495
septembre — octobre 2011

La réforme des lycées va-t-elle conforter les décrocheurs en mathématiques ?

Dominique Gaud [1]
au nom de l’IREM de Poitiers]]

 

Les réformes se succèdent à un rythme soutenu et bien sûr aucune évaluation n’est faite à l’issue d’une période probatoire. Chaque réforme est annoncée avec moult vertus pédagogiques bien que les dernières réformes ne soient pas sans arrière-pensées économiques (pensons en particulier aux postes supprimés). Chacun jugera si ce sont les intentions pédagogiques qui miraculeusement font faire des économies ou bien si ce sont des considérations économiques qui gouvernent la réforme.

En seconde et pour la première fois depuis longtemps (et peut-être pour la première fois), certains élèves feront des mathématiques sans qu’aucun examen au lycée ne vienne sanctionner leurs compétences : il s’agit des élèves qui opteront pour la filière L et qui ne suivront pas la spécialité maths. Cela n’est pas sans conséquences pour le praticien dans son quotidien.

La seconde est dite de détermination. Mais un certain nombre d’élèves ont déjà opté pour la filière L (sans maths !) avant d’arriver en seconde, pour diverses raisons : attrait pour la littérature, les langues, des arts, … mais aussi rejet des mathématiques depuis bien longtemps : on pourrait les appeler décrocheurs en mathématiques. On constate que ces élèves sont en rupture avec les mathématiques depuis la quatrième et les débuts de l’algèbre ou la démonstration en géométrie.

Ainsi en est-il cette année dans ma classe de seconde où 40% des élèves m’ont annoncé en début d’année leur choix de vouloir suivre une filière L spécialité arts plastiques.

Comment dès lors motiver ces élèves en mathématiques vu leur passé douloureux et vu surtout qu’aucun examen ne viendra sanctionner les acquis, même modestes de lycée. Des questions légitimes se posent :

  • Les 60% d’élèves de ma classe qui vont opter pour S, ES ou L spécialité maths vont-ils être sacrifiés ? Car, ne soyons pas naïfs, la pédagogie différenciée a ses limites face à des élèves ne voulant faire aucun effort pour entrer dans une discipline qui de leur point de vue, purement comptable, ne leur sert à rien. D’ailleurs, dans notre société où tout effort se monnaie, peut- on leur en vouloir ? L’école irait-elle à l’encontre des valeurs dominantes de notre société ?
  • Le professeur que je suis peut-il se résoudre à « faire de la garderie » et admettre que ces élèves n’apprennent rien d’utile durant cette année ?
  • Le programme est-il adapté à ce type de public ? Dois-je faire entrer dans l’algèbre (mais avec quelles contraintes ?) des élèves qui dans leur scolarité antérieure n’y ont pas accédé (et qui refusent dorénavant d’y entrer : « je n’ai jamais rien compris avec les lettres… ») alors qu’ils n’en feront rien ni scolairement ni dans leur vie de citoyen ? Dois-je faire ânonner la définition de l’image d’un réel par une fonction ? Ou bien définir un vecteur ? Résoudre des problèmes d’alignements de points ? Plus que jamais, dois-je faire apparaître les mathématiques comme purement scolaires et dénuées de toute intention visant à les instruire par rapport à leur vie future ?
  • En quoi l’aide personnalisée peut-il être un outil adapté pour ces décrocheurs ? L’enseignant doit-il y dissiper son énergie ?
  • Que faire de ces élèves qui ne font pas leur métier d’élève et dont les comportements perturbent le bon fonctionnement de la classe ?
  • Ne doit-on pas aussi penser qu’un certain nombre d’entre eux deviendront peut-être professeurs des écoles. Avec quel niveau en mathématiques ? Et avec quelles conséquences pour les élèves qu’ils auront : sur les connaissances qu’ils leur transmettront et sur l’image des mathématiques qui véhiculeront ?

Bien sûr les enseignants rivalisent d’efforts pour faire de leur mieux. Ainsi, la démarche initiée par l’IREM de Poitiers [2] vise à motiver les connaissances mathématiques en montrant en quoi elles sont utiles pour comprendre notre monde.

Tous les élèves peuvent s’intéresser aux questions tirées de la « vraie vie » (comme les élèves disent) et par es réponses que peuvent apporter les mathématiques à ces questions : Comment optimiser une quantité ? Comment construire une figure sous contraintes (en liaison avec l’art plastique, l’architecture, les décors gothiques par exemple) ou bien Dans quelle mesure peut-on croire aux sondages ? ,… Cette démarche vise à traiter, par ses réponses, les connaissances requises par les programmes. Mais bien souvent ces connaissances, dans leur majorité, ne sont adaptées que pour des futurs S ou ES. Et les décrocheurs ne fournissent pas, faute de volonté, par manque de connaissances ou de motivation, les efforts nécessaires pour accéder à ces réponses nécessitant un certain degré d’expertise en mathématiques.

Autrement dit, pour un élève, hésitant quant à son orientation ou bien redécouvrant les mathématiques sous un autre jour et étant prêt à produire quelques efforts, cette démarche (ce n’est qu’un exemple parmi d’autres) peut lui permettre de se déterminer sereinement pour une filière.

Pour ce qui est des décrocheurs en mathématiques, force est de de craindre qu’à quelques exceptions près, la disparition des mathématiques en première L risque d’induire des comportements que nos décideurs n’avaient certainement pas envisagé et les futurs scientifiques de ma classe de seconde en seront malheureusement les premiers sacrifiés. Et ce ne sont pas les diminutions d’horaire en de première S qui les aideront dans leurs études futures.

Que proposer alors ?

  • Un programme adapté à tous les élèves de seconde en abandonnant la pédagogie des petites marches visant à familiariser les élèves avec des connaissances pouvant être utiles à ceux qui continueront à faire des mathématiques mais qui sont complètement inutiles aux autres élèves ?
  • Un toilettage du programme de seconde et le rétablissement d’un enseignement de mathématiques adapté aux élèves littéraires et évalué comme les autres disciplines pour le bac ?

D’autres solutions sont-elles possibles ?

 

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