Bulletin Vert n°490
bulletin spécial « Centenaire de l’APMEP »
Les IREM et moi, on s’est rencontrés … souvent !
Les premiers IREM, Paris Strasbourg et Lyon, ont été créés fin 1968.
Citons Gilbert Walusinski :
On peut penser que c’est une coïncidence fortuite, que réclamés par l’A.P.M.E.P. depuis 1966 (cf. Bulletin 257), que proposés par la Commission Ministérielle dite Commission Lichnerowicz depuis avril 1967 (cf. le rapport préliminaire de la Commission Ministérielle dans le Bulletin 258), aucune circonstance extérieure n’a provoqué finalement leur création. On peut aussi penser que certains événements en 1968 jouèrent un rôle dans le déclenchement du mécanisme administratif.
Quoi qu’il en soit, il y avait des années que l’A.P.M.E.P. demandait l’organisation simultanée de la recherche pédagogique et de la formation permanente des maîtres, cette dernière étant sans signification si elle est séparée de la première.
À cette époque là j’enseignais à Toulouse et la Régionale, en sommeil depuis plusieurs années, se remettait à fonctionner.
Nous pensions faire partie de la deuxième vague de créations, vu la taille de l’académie de Toulouse (huit départements) ; hélas nous avons été doublés notamment par Besançon, qui, plus petit, ne nous paraissait pas prioritaire. Mais il y avait Edgar Faure, et son rôle déterminant dans la création des IREM a valu aux collègues de Franche-Comté une certaine priorité.
Renseignements pris auprès d’André Revuz, membre de la Commission Lichnerowicz laquelle décidait du calendrier d’implantation des IREM, ce qui clochait à Toulouse c’était l’absence d’un directeur suffisamment « bourbakiste » pour être agréé par la dite commission.
Donc l’année suivante, la Régionale s’est fortement concertée avec les matheux de la fac pour dénicher l’enseignant de rang A volontaire, susceptible d’être reconnu par la commission et aussi agréé par le département de mathématiques. Ce n’était pas gagné d’avance. Aussi, avec la complicité du Président de l’université, un non matheux qui avait compris l’importance de cette création pour les enseignants du secondaire, la délibération du département de mathématiques a eu lieu dans un amphi, le département étant sur l’estrade et les militants de la régionale dans l’amphi. Henri Bareil évoquait cet épisode en comparant les militants aux « Tricoteuses de la Convention » : ces femmes d’origine populaire qui suivaient en tricotant les séances de là Convention et apostrophaient les députés depuis les tribunes. Apostropher les universitaires ne fût pas nécessaire, notre présence ayant suffit à apaiser les débats.
Et, en 1971, l’IREM de Toulouse a vu le jour sous la direction de Claude Frasnay assisté, comme directeur adjoint, d’Henri Bareil.
Mutée à Nice en 1971, je repris, au nom de la Régionale renaissante ici aussi, le combat pour la création d’un IREM, rencontrant sensiblement les mêmes obstacles.
Au début 1973, il y avait donc seize I.R.E.M., créés au rythme de trois (exceptionnellement quatre) par an, (Paris, Strasbourg et Lyon, Bordeaux, Rennes, Marseille, Besançon, Clermont, Lille, Montpellier, Toulouse, Grenoble, Nancy, Nice, Poitiers et Rouen).
Et s’est mis en place l’ancêtre de l’Assemblée des Directeurs d’IREM : le Directoire des IREM. Écoutons encore G. Walusinski : « C’est un « directoire des I.R.E.M. » (déjà le Directoire, a-t-on dit, l’étape de la Convention a été sautée !) qui décide des implantations : pourquoi cette ville X plutôt que cette ville Y ? Qui décide des nominations ou des détachements, ces derniers dépendant encore du pouvoir discrétionnaire de l’Inspection générale ?
Disons-le tout net : quand nous réclamions des I.R.E.M., nous assortissions notre demande d’un projet d’organisation de ceux-ci qui faisait une part principale à la participation des collègues du ressort de l’I.R.E.M. L’organisation bureaucratique actuelle met les I.R.E.M. sous la tutelle directe de l’Inspection générale. Celle-ci, en ne donnant pas aux I.R.E.M. tout le personnel dont ils ont besoin a donc une lourde responsabilité dans l’insuffisance des réalisations de ces instituts. »
Car, dès 1973, l’APMEP a eu du mal à reconnaître dans les IREM l’institution dont elle avait rêvé. À preuve le titre de l’éditorial des Chantiers de pédagogie mathématiques n°25-26, Bulletin de la Régionale parisienne, de janvier 1973, signé G. Walusinski et déjà cité ci-dessus : « Vieillissement ou renaissance des IREM ? ».
Au delà la critique sur l’aspect bureaucratique, c’est la conception même des IREM qui est en jeu : au lieu de s’atteler aux quatre tâches principales prévues par les concepteurs :
- a) participer à la formation initiale des maîtres (sous-entendu « de tous les maîtres ayant à enseigner des mathématiques »),
- b) participer à la formation permanente des maîtres,
- c) jouer un rôle moteur dans la recherche pédagogique concernant l’enseignement mathématique,
- d) contribuer à l’information des maîtres par l’édition de documents échappant aux contraintes de la publication commercialisée.
Beaucoup d’IREM se sont concentrés sur le « Recyclage ». « Certains n’ont même pas refusé le mot, ce qui est fort inquiétant. Assimiler la formation permanente des maîtres à un recyclage est en effet un contresens. Dans une machine, un fluide épurateur doit être à son tour épuré pour être remis dans le circuit ; il me paraît assez juste de parler ici de recyclage. Dans le cas des maîtres, le mot a une signification un peu plus noble, j’en conviens : les maîtres ayant des connaissances d’un niveau n, celles-ci, après recyclage, sont au niveau n + 1. Mais comme pour le fluide épurateur, on n’aura pas changé vraiment les maîtres, on n’aura donc pas grand espoir de réformer leur enseignement. C’est pourquoi, on le rappelait en commençant, formation permanente et recherche pédagogique vont de pair. »
Autre critique forte :
Les I.R.E.M., au lieu de s’intéresser à l’enseignement mathématique dans son ensemble, c’est-à-dire de la Maternelle à l’Université, ont concentré leurs efforts sur le second degré ! Dès le départ, certains ne s’y sont pas limités et ils ont été sages de préparer tout de suite les difficiles réformes qu’appelle l’enseignement élémentaire.
Cependant, ces efforts ont été trop restreints, faute de moyens et les difficultés administratives n’ont pas été épargnées aux pionniers. Si bien que la formation continue organisée pour les maîtres du premier degré l’a été, dans la majorité des cas, sans liaison avec les I.R.E.M., même dans les villes où les deux organisations cohabitent. Dur échec pour ceux qui voyaient (dans leur imagination) les I.R.E.M. comme des foyers où les maîtres opérant aux divers niveaux se rencontreraient, les échanges ainsi facilités donnant à tous conscience qu’ils sont des compagnons engagés dans la même tâche.
Il faut aujourd’hui nuancer cette critique et saluer le travail remarquable fait par la COPIRELEM (Commission Permanente des IREM sur l’Enseignement Élémentaire) en direction des enseignants du Premier degré.
En conclusion :
Il y a donc un monde entre les I.R.E.M. que nous imaginons, il y a seulement cinq ans, et ceux qui vivent ou survivent aujourd’hui ? Toute institution tend à se scléroser, nous devons le savoir et par conséquent ne pas nous étonner. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas réagir.
Faut-il pour cela bousculer certaines des habitudes prises depuis 1968 ?
L’A.P.M.E.P. qui a joué un rôle de premier plan dans la création des I.R.E.M serait bien inspirée, me semble-t-il, de se préoccuper de leur avenir. C’est vrai qu’en cinq ans, ils ont vieilli. Cela ne prouve pas qu’ils ne peuvent pas connaître une nouvelle jeunesse.
La C.O.P.R.E.M. (Commission permanente de réflexion sur l’enseignement des mathématiques, essentiellement composée de représentants de l’APMEP et des IREM, avec une participation de la SFCIEM, de l’UPS et de la SMF) produit un Rapport sur la formation continue des enseignants de mathématiques, diffusé par
l’APMEP en octobre 1978. Elle note :
La création des I.R.E.M. a coïncidé avec
1) Une réforme profonde et brutale des programmes de mathématiques à tous les niveaux.
2) Une période où l’idéologie du « mathématisme triomphant » sévit dans toute sa splendeur et où la fonction de sélection sociale de l’enseignement des mathématiques s’est considérablement renforcée.
3) Une absence de réflexion approfondie et de perspectives sur la formation des maîtres, tant du côté du pouvoir politique que du côté de l’institution scolaire.
Aussi, sous le poids conjugué des facteurs précédents, sous les directives de l’administration centrale soucieuse de voir apporter immédiatement des palliatifs aux insuffisances de formation initiale, sous la pression des stagiaires soucieux de voir satisfaire leurs préoccupations du moment, et avec la complicité des animateurs eux-mêmes pour des raisons de facilité de mise en œuvre, l’activité des I.R.E.M. s’est souvent limitée, notamment dans les premières années, à l’actualisation des connaissances et à des compléments de formation initiale. La réflexion a surtout porté sur la manière d’organiser des cours et non sur des recherches plus fondamentales liées à l’équilibre et l’organisation globale des contenus.
En outre, ce type de formation continue est resté sourd aux interpellations et aux problématiques formulées par les psychosociologues, les institutionnalistes, les didacticiens, etc., en partie en raison de l’état de gestation dans lequel se trouvaient aussi bien les sciences de l’éducation que la didactique des disciplines, et du peu d’impact que ces sciences ont eu sur la plupart des enseignants, en partie en raison d’une erreur didactique sécrétée par l’idéologie du « mathématisme triomphant ». Cette erreur consiste à penser que la bonne façon de faire approprier des connaissances par une personne est de porter tous ses efforts sur le déroulement et l’élaboration d’un discours rigoureux qui présente ces connaissances devant cette personne, placée d’abord en situation de spectateur, exhortée à reproduire ensuite le discours visé.
Outre son peu de performance au niveau de l’actualisation des connaissances, cette thèse didactique a été prise en compte par les stagiaires pour leur propre enseignement ; les maîtres ont trop souvent retenu, de ce type de formation continue, que la mathématique n’est pas autre chose qu’un langage attribuant des statuts à des concepts.
[…] Si des difficultés sont apparues avec force, c’est parce que ces instituts (lieux de rencontres et de chocs entre des systèmes et des personnes qui auparavant s’ignoraient, et dans le cadre d’une liberté n’existant pas ailleurs) les ont révélées, faisant apparaître en grandes lettres des dysfonctionnements globaux du système éducatif.
[…] En conclusion, les IREM ont commis des erreurs de jeunesse, ont subi des chocs et essuyé des échecs pour des raisons qui n’étaient pas de leur fait, ont une responsabilité dans d’autres échecs.
Pour l’APMEP, dans l’axe de la politique dessinée par G Walusinski, il y a lieu à la fois de défendre et travailler à la mise sur pied d’IREM « rénovés » correspondant mieux à nos attentes. Cela a été une constante de son action.
Défendre les IREM, cela a été très tôt nécessaire et les présidents qui m’ont précédée : Henri Bareil, Michel de Cointet, Paul-Louis Hennequin et Daniel Reisz, s’y sont tous employés : participation au collectif de défense des IREM, …
En 1977, René Haby souhaite réduire de 20% les crédits alloués aux IREM. L’APMEP lance une souscription pour défendre les IREM. Le montant demandé est de la moitié d’une journée de salaire. L’argent ainsi récolté sert à alerter les médias et le grand public. Une pétition nationale est lancée.
Avez-vous participé et fait participer à la souscription APM ?
Vous savez que cette souscription s’inscrit dans le cadre de la pétition nationale APM et des diverses actions entreprises pour sauver les IREM.
Or pour mener efficacement notre action, le budget APM normal ne pouvait et ne peut suffire. Des ressources complémentaires ont permis et permettront de couvrir les frais généraux relatifs à notre action et d’assurer une plus ample diffusion de nos points de vue et de nos expériences notamment en finançant autant que de besoin le passage in-extenso de nos prises de position dans la presse.
Cette forme d’action versement correspond aux vœux de nombreux collègues. Tous les animateurs et les stagiaires d’IREM (actuels, anciens ou … futurs) se trouvent prioritairement concernés. Mais tous les professeurs de mathématiques (au moins) le sont.
À chacun d’eux l’APM a proposé (cf valeur d’une heure année IREM, coût des journées de grève, …) un versement de l’ordre d’une DEMI-JOURNÉE DE TRAITEMENT (cela pour chacun selon son traitement).
Les bulletins verts n°311 et 312 de décembre 1977 et février 1978, titrent « Le dossier sur les IREM, l’affaire des 20% ». Ces deux dossiers reprennent toutes les actions menées par la communauté mathématique pour la défense des IREM. Cela va de la déclaration d’André Lichnerowicz, président de la Commission Nationale devant cette même commission, aux multiples courriers envoyés par l’APMEP et par le président de l’assemblée des directeurs d’IREM, aux institutionnels, aux parents d’élèves, à la presse. Ces deux dossiers sont complétés par un troisième dans le bulletin vert n°319 de juin 1979. On peut en particulier y lire des extraits de réaction dans la presse.
Devenue Présidente en 1978, je repris le flambeau.
Dans la Déclaration de l’APMEP du 7 février 1979 que j’adressais aux Syndicats d’enseignants, Associations de spécialistes et Fédérations de parents d’élèves, je mentionnais au sujet des IREM :
« D’Alain Peyrefitte à Fontanet, les ministres de l’Éducation successifs ont créé et développé les IREM. La situation a changé en 1974, pour s’aggraver soudainement, d’octobre 1977 à juin 1978, tous les moyens des IREM subissant alors deux abattements successifs de 20%, cependant que se multipliaient les tracasseries, les marques d’incompréhension, celles de mépris.
Actuellement, la situation devient d’une inquiétante netteté. Le 22 janvier 1979, le Ministère de l’Éducation a informé les IREM, en Commission Nationale, que leur dotation en heures-stagiaires était supprimée à partir de la rentrée 1979 et que, dès lors, les I.R.E.M. n’auraient de stagiaires que bénévoles. Les autres moyens des IREM (heures animateurs et crédits), tout en restant aléatoires, seraient conditionnés par les résultats d’un recensement officiel de ces « stagiaires bénévoles » …
L’obligation de bénévolat faite aux stagiaires IREM est une régression qui nie le droit des enseignants à leur formation continue dans le temps de service. (La loi générale sur la formation continue, de juillet 1971, n’est donc pas pour eux ?).
Le télex suivant fut adressé le 24 janvier 1979 au ministre de l’Éducation Nationale :
De Christiane ZEHREN
Présidente
À
Monsieur le Ministre de l’Éducation Nationale
Monsieur le Ministre,
Alors que vous venez de supprimer 700 postes de professeur d’École Normale sur 2 400, y démantelant des équipes de formation et de recherche, vous achevez de casser l’outil de travail des IREM.
Désavouant vos prédécesseurs, qui, de 1967 à 1974, avaient créé et développé les IREM, en partie en reconnaissance des travaux bénévoles impulsés par des enseignants de mathématiques de l’A.P.M.E.P., vous niez en même temps le droit à la formation continue dans le temps statutaire de service. Ainsi s’amorce une phase de régression. Pour la justifier, vous employez à propos de cette formation continue des arguments inacceptables, daubant à propos du temps de service des enseignants, comme le ferait quelqu’un qui ignorerait tout de l’enseignement et surtout de l’enseignement actuel. Votre position ne pourrait se comprendre que si, souhaitant une école publique toujours déphasée, vous réduisiez les enseignants à être de simples répétiteurs. Cette campagne de diffamation, vous l’engagez comme si les problèmes pouvaient se traiter au fond en dressant contre les enseignants l’opinion publique la plus désemparée.
Bafouant les enseignants au lieu de les aider, vous les accablez de votre mépris, tant par vos paroles que par vos actes ... ou vos oublis. Ainsi n’avez-vous pas jugé opportun de débattre, soit avec l’A.P.M.E.P., soit avec les responsables des IREM, des missions, du fonctionnement et du sort de ces instituts. Les membres de votre cabinet que nous avons rencontrés en juin, ou en novembre, nous ont opposé un silence équivalent. Ce qui ne vous empêche pas de faire tomber d’autorité le couperet.
Que vous agissiez ou non par ignorance des problèmes, du travail, des efforts et des espoirs des enseignants, la campagne que vous esquissez et les actes qu’elle appuie vont à l’encontre des propos maintes fois tenus par le Président de la République.
L’A.P.M.E.P. vous demande, à l’un et à l’autre, des attitudes plus cohérentes.
L’un des ajustements possibles passe par une réorientation rapide de votre politique, notamment pour ce qui nous concerne plus particulièrement, vis-à-vis des IREM, la formation des maîtres en général, et le recrutement des enseignants pour les IREM ; ceci suppose qu’il leur soit redonnés les moyens propres à leur permettre de faire réellement face aux missions qui leur ont été officiellement confiées : outre la formation continue, il s’agit de la recherche sur l’enseignement, et de l’information, la documentation et l’accueil (bibliothèque, possibilité de création, reproduction et diffusion de documents, locaux pour réunions) des enseignants de mathématiques de chaque Académie.
Et l’APMEP de
- refuser le bénévolat officiel, c’est à dire des stagiaires sans décharges ;
- rédiger un document de base (octobre 1977, cf. BV n°311) : « Le sort des Irem et la formation continue dans toutes les disciplines du 2d degré » ;
- lancer une pétition nationale, appuyée par les syndicats d’enseignants et les autres associations de spécialistes qui a recueilli plus de 40 000 signatures ;
- obtenir des entrevues au ministère, d’où est ressorti que les IREM sont « trop coûteux », « trop universitaires », trop soucieux de recherche et de remise en question (!) ;
- transmettre, via les élus locaux, des « Questions au Ministre de l’Éducation » ;
- adresser une lettre accompagnée d’un dossier aux présidents des divers groupes parlementaires à l’Assemblée Nationale et au Sénat ainsi qu’à tous les secrétariats nationaux de partis politiques ;
- faire une campagne de presse : communiqués payants (le Figaro, l’Aurore), publication d’articles fournis par l’APMEP (Le Monde, l’Éducation), articles rédactionnels à partir de notre dossier, dans la presse nationale et aussi régionale (Lyon, Toulouse) ;
- lancer un texte : « l’APMEP s’adresse à vous au sujet des IREM » (cf. BV 315) diffusé à tous les IREM avant la rentrée 1978, incitant à un bilan critique et constructif.
C’est dans ce contexte qu’arrivèrent les Journées de Reims, et l’épisode de la tentative de mot d’ordre de boycott de la réception au rectorat lancée par des participants à l’Assemblée générale. Ceux-ci voyaient dans le Recteur un représentant de ce gouvernement qui massacrait les IREM, et le Bureau, évidemment d’accord avec cette analyse, ne souhaitait pas mettre en difficulté la Régionale de Reims, dont le Président, quasiment en larmes, vint à la tribune dire que la Régionale avait cru bien faire et qu’en cas de boycott effectif, il souhaitait bien du plaisir aux organisateurs des prochaines Journées. Le Bureau clôtura l’AG en annonçant sa participation à la réception rectorale. Quelques heures après, il se retrouvait en tête à tête avec le Recteur dans une salle de réception remplie seulement de serveurs la serviette blanche sur le bras prêts à servir le champagne, et aussi du journaliste du Monde en charge de la rubrique Éducation qui, en ce temps-là, suivait toutes nos Journées. Conversation à bâtons rompus pendant un long quart d’heure (heureusement qu’un sujet s’est imposé : le recteur, matheux, avait un fille qui venait de passer le Bac et le sujet (Paris) qu’elle avait eu à traiter suscitait des critiques…), puis … les portes s’ouvrent à deux battants et un flot de profs de maths sortant en retard de la visite de la cathédrale défile. Ouf !
Pas tout à fait : quelques minutes plus tard, flûte de champagne à la main, le recteur discutait avec moi lorsque le journaliste du Monde m’apostropha : « Madame La Présidente, qu’auriez-vous fait si le boycott avait été effectif ? ». Je bredouillais une réponse et je réalisais que lors de notre quart d’heure d’attente, le recteur était lui aussi au courant et dans l’expectative. Belle partie de cache-cache…
En Novembre 1979, la revue L’Éducation titrait son numéro de « Regard sur les mathématiques ». J’y fus interviewée comme Présidente, notamment sur le thème des IREM :
L’arrivée des mathématiques dites modernes a également montré une carence de formation des professeurs. Quelle est la formation continue souhaitée par l’APMEP ?
Le fonctionnement des IREM, situés hors de la hiérarchie Éducation nationale puisque ce sont des instituts d’université, représentait un essai assez convenable de formation continue des enseignants.
Nous pensons, en effet, que la formation continue ne doit pas être étroitement contrôlée, par exemple par les corps d’inspection. Il doit y avoir une négociation pour la mise en œuvre d’une telle politique. Par ailleurs, les instituts, outre la garantie d’indépendance, avaient aussi l’avantage d’être en prise avec la recherche qui a lieu dans les universités, soit dans le domaine purement mathématique, soit dans celui que l’on appelle la didactique des disciplines. Une bonne formation continue ne doit pas être coupée de la recherche.
Les IREM étaient aussi un lieu d’échanges entre les enseignants, et le fait d’avoir un lieu qui soit la maison des enseignants de mathématiques de l’académie, et de pouvoir, dans ce cadre-là, et même parfois hors de toute activité parfaitement structurée de l’IREM, avoir accès à une bibliothèque, disposer de moyens permettant des échanges entre professeurs, faire circuler des informations, des amorces de solutions, des questions, constituait et constitue encore un atout très important pour répondre absolument à tous ces problèmes d’adaptation de l’enseignement au monde contemporain.
Les modifications décidées dans le fonctionnement des IREM ne risquent-elles pas de dénaturer ce rôle ?
Certainement. Si les IREM sont amenés à n’être plus que des organismes de recyclage, délivrant des recettes toutes faites, il est certain que l’APMEP n’aura plus le même enthousiasme pour les défendre.
Les nouvelles dispositions qui semblent être mises en place pour la formation continue des professeurs de collège indiquent une direction dans laquelle, malheureusement, le gouvernement semble s’engager pour la formation continue des enseignants : universités du mercredi, stages pendant les petites vacances ou au début des grandes, intervenants qui ne sont pas toujours des universitaires et, quand ils le sont, non déchargés pour assurer cette formation continue.
Il est à craindre que ce qui se met en place pour les professeurs de collèges, mathématiciens ou non, aura tous les défauts du système actuel.
Nos actions déterminées n’ont pas eu le résultat espéré : depuis ce jour, plus de décharges pour les stagiaires, au mieux des autorisations d’absence avec tous les problèmes de non remplacement afférents.
Mais l’ampleur et la vigueur de la réaction ont sûrement mis un frein aux tentatives ministérielles ultérieures de démantèlement des IREM.
En 1984, l’analyse de Pascal Monseiller, Président, dans son discours d’ouverture des Journées Nationales de Sophia-Antipolis, rejoint les positions antérieures :
Il y a vingt ans, lorsqu’il parut inéluctable que l’enseignement des mathématiques dût évoluer rapidement, alors que le Ministère de l’Éducation Nationale ignorait que le terme même de « formation continue » pût exister, c’est l’APMEP qui a milité pour la formation des IREM, qui les a fait vivre avant leur fondation officielle à travers les Chantiers mathématiques, qui a obtenu leur création à partir de 1968, et ce sont les militants de l’APMEP qui ont en grande partie fait vivre ces Instituts pendant plusieurs années.
Les IREM sont un peu oubliés ces temps-ci, et leur avenir paraît sombre. Les résultats qu’ils ont obtenus ont été sans doute inégaux, mais ils ont accumulé une somme d’expériences et de résultats irremplaçables, et inégalés. Leur principe de base, qui mêle étroitement recherche sur l’enseignement et formation des enseignants, a créé un modèle de formation original et innovateur.
Enfin, puisqu’il m’a été donné de représenter l’APMEP pendant environ 5 ans à l’Assemblée des Directeurs d’IREM, j’ai pu percevoir combien les questions évoquées ci-dessus sont toujours d’actualité notamment :
- formation continue ou recyclage ?,
- statut du stagiaire,
- lien formation-recherche,
- style de l’institution de formation,
- quelle vision des mathématiques transmettons-nous ?,
- nécessité d’agir pour défendre le modèle IREM :
Des combats analogues à celui de 1979 ont dû être menés (liés notamment à l’autonomie de Universités, qui peut aller jusqu’à supprimer un IREM, et à la LOLF – loi organique relative aux lois de finances). Ces combats ont confirmé que la mobilisation forte des enseignants de mathématiques, suscitée ou relayée par leur association professionnelle, l’APMEP, est de nature à tempérer les ardeurs de l’Institution. L’absence d’une telle mobilisation, nationale et régionale, signerait, c’est certain, la mort des IREM. Les IREM en sont-ils conscients ? - et en même temps, nécessité pour l’APMEP, de jouer son rôle de représentante des usagers des IREM.
Conquête de l’APMEP, modèle de formation, les IREM, qu’on dit mourants depuis si longtemps, vivent encore malgré toutes les difficultés. À l’instar de l’APMEP, souhaitons-leur de fêter leur centenaire avec, comme le souhaitait Walu, une nouvelle jeunesse.
Les IUFM
En 1989, Lionel Jospin, ministre de l’Éducation Nationale, crée les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres, qui remplacent les Écoles Normales, les CPR et les ENNA.
L’APMEP approuve cette création, qui concrétise la prise en compte de l’aspect professionnel du métier d’enseignant.
Les IREM, forts de leur expérience, vont rapidement devenir des partenaires incontournables des IUFM pour la formation initiale et continue des professeurs des écoles et des professeurs de mathématiques des lycées et collèges. En témoigne le nombre de directeurs d’IREM qui deviennent directeurs d’IUFM, et d’animateurs IREM, souvent militants APMEP, qui deviennent formateurs en IUFM.