Les nouvelles Écoles Normales en 26 questions pratiques et encore sans réponse
communiqué du 30 avril 2024
par la Commission « Enseignement Scolaire » du Collège des Sociétés Savantes académiques de France
Pour la quatrième fois depuis 2010, le recrutement et la formation des enseignants vont être réformés. En positionnant le concours de recrutement en fin de licence, le gouvernement espère créer un « choc d’attractivité » pour recruter plus d’enseignantes et d’enseignants.
Pour la commission enseignement scolaire du Collège des Sociétés Savantes, la formation des futurs enseignant·es doit être construite de façon cohérente de la licence au master, comme elle l’a précédemment expliqué dans une tribune dans Le Monde et un précédent texte sur la formation des enseignants.
Or, plus encore que les précédentes, cette réforme se fait à marche forcée et précipitée. Faute de consignes officielles et de concertation avec les acteurs de la formation et les universités, le travail nécessaire à l’adaptation des licences n’a pas commencé.
Travaillant dans les universités, en grande partie dans les INSPÉ [1], les membres de la commission enseignement scolaire sont des témoins directs de l’immense perplexité des différentes publics concernés par la formation : personnels universitaires, personnels de l’éducation nationale, étudiantes et étudiants qui, tous, souffrent du manque d’information et de concertation, et s’interrogent avec inquiétude sur leur avenir et celui des formations.
Dans la note ci-dessous, les membres de la commission relaient ici quelques-unes des questions les plus fréquentes posées par différents publics concernant les nouvelles Écoles Normales, en espérant que le gouvernement y apportera rapidement des réponses.
Ce texte est soutenu par le Collectif Maths et Sciences.
Préambule
Pour la quatrième fois depuis 2010, le recrutement et la formation des enseignants vont être réformés. La réforme est annoncée depuis le mois de novembre, mais le manque d’informations officielles empêche sa mise en place.
Un changement était certes nécessaire. D’une part, le nombre de candidats et candidates aux concours de recrutement est chaque année plus bas ; d’autre part, la formation mise en œuvre depuis 2021 est source de désarroi et d’épuisement chez les étudiants et étudiantes, du fait d’enjeux difficilement compatibles. Pour être efficace sans placer les étudiants et leurs enseignants dans une situation intenable, la formation devrait être construite de façon cohérente de la licence au master, comme nous l’avons expliqué dans une tribune dans Le Monde et un précédent texte sur la formation des enseignants.
En positionnant le concours en fin de licence, le gouvernement espère créer un « choc d’attractivité » pour recruter plus d’enseignantes et d’enseignants. La rémunération durant les deux années du master, devrait en effet permettre à plus de personnes de suivre les études requises. Mais comment seront-elles formées ? Et comment peut-on mettre en place une réforme si on ne dispose pas de toutes les informations nécessaires ? Plus encore que les précédentes, cette réforme se fait à marche forcée et précipitée. Faute de consignes officielles, mais surtout de concertation avec les acteurs de la formation et les universités, le travail nécessaire à l’adaptation des licences n’a pas commencé. Ces licences devraient pourtant accueillir nos étudiants dès septembre 2024, pour leur permettre de préparer les nouveaux concours de la session 2025. Leur mise en place en quelques mois, en l’absence d’informations sur le contenu des concours et sur l’organisation de la formation en master ne permet pas d’en faire la première étape d’un cursus cohérent. Autre point nébuleux, de nouvelles licences préparatoires au professorat des écoles sont censées ouvrir à moyens constants, alors que plusieurs cursus universitaires offrent déjà une préparation à ce métier. Enfin, la structure chargée de coordonner la formation reste mystérieuse : on nous annonce de nouvelles « Écoles Normales du 21e siècle » ou ENSP (Écoles Normales Supérieures du Professorat) dont le rôle, le statut et la gouvernance ne sont toujours pas explicités.
La commission enseignement du Collège des Sociétés Savantes suit de près ces évolutions. Travaillant dans les universités, en grande partie dans les INSPÉ, ses membres sont des témoins directs de l’immense perplexité des différentes publics concernés par la formation : personnels universitaires, personnels de l’éducation nationale, étudiantes et étudiants qui, tous, souffrent du manque d’information et de concertation, et s’interrogent avec inquiétude sur leur avenir et celui des formations. Nous relayons ici quelques-unes des questions les plus fréquentes, en espérant que le gouvernement y apportera rapidement des réponses.
Questions des étudiants et des étudiantes sur la formation
1. Je suis lycéenne et je voudrais suivre une formation qui me prépare à un CAPES [2] bi-disciplinaire (histoire-géographie, sciences économiques et sociales, physique-chimie). Les licences de l’université où je peux aller sont mono-disciplinaires, quelle licence dois-je suivre ?
2. Je suis lycéen et je veux devenir Conseiller Principal d’Éducation (ou formateur ou ingénieur pédagogique). Il n’existe pas de licence dédiée, dans quelle licence puis-je m’inscrire ?
3. Je suis inscrite en licence et je veux devenir enseignante de mathématiques. Mon université propose une licence de mathématiques mais pas les modules de préparation au concours. Je n’ai pas les moyens de changer de ville. Comment vais-je préparer le concours ?
4. Je suis étudiant en licence et je vais passer le CAPES en L3 [3]. Si je passe le CAPES et que je le rate, puis-je intégrer la formation MEEF [4] en Master ? Et si je réussis le CAPES mais que je ne valide pas ma licence, que pourrai-je faire ?
5. Je suis étudiante et je vais passer le CAPES en L3. Si je réussis le concours, vais-je pouvoir suivre la formation de Master dans mon université ou serai-je affectée ailleurs ? Si je suis affectée dans un endroit où la vie est chère, le salaire d’élève fonctionnaire me permettra-t-il de vivre décemment ?
6. Je serai en M1 [5] MEEF l’année prochaine, j’ai intérêt à présenter le concours des L3 en 2025 afin de bénéficier d’un salaire dès septembre 2025. Comment pourrai-je préparer ce concours ? Quelle formation aurais-je si je réussissais le concours et le M1 ?
7. Je serai en M2 MEEF l’année prochaine, je me demande quel concours présenter en 2025 : celui des L3 sera certainement plus facile pour moi, quel avantage aurais-je à passer celui des M2 ? Puis-je passer les deux ?
8. J’ai validé un master MEEF il y a 3 ans mais je n’ai pas réussi le concours jusqu’à présent. Si je réussis le concours des L3, est-ce que je devrai refaire un master ? Est-ce qu’on m’enverra à plein temps dans une classe ? Avec ou sans formation complémentaire ?
9. Je suis salariée avec 20 ans d’expérience et titulaire d’un master, comment puis-je devenir enseignante ? Et de quelle formation pourrai-je bénéficier ? ·
Questions des personnels enseignants et chercheurs à l’université
10. Je suis responsable d’une licence disciplinaire à l’université, comment vais-je pouvoir transformer la moitié de la L3 en module de préparation au CAPES dès la rentrée et à moyens constants ? Comment puis-je le faire si je ne connais pas le contenu du concours ?
11. Je suis responsable d’une licence dédiée à la formation des professeurs des écoles, mais elle n’est pas portée par l’INSPÉ. Cette licence va-t-elle disparaître l’année prochaine ?
12. Je suis enseignante-chercheuse, j’interviens en master à l’INSPÉ pour former les étudiantes et les étudiants à la maîtrise des contenus disciplinaires qu’ils devront enseigner. A la sortie de la licence, ils en ont encore un grand besoin. Cette partie de la formation va-t-elle disparaître des masters ?
13. Je suis enseignant-chercheur et j’utilise le fruit de mes recherches ainsi que celles de mes pairs pour concevoir la formation la plus « informée » possible pour les étudiantes et étudiants, qui se destinent à devenir enseignantes et enseignants. Si les maquettes sont trop contraintes, qu’adviendra-t-il du lien avec la recherche dans les formations ? Y aura-t-il encore de la place pour de tels enseignements ? Devrai-je appliquer un programme prescrit par l’ENSP [6] ?
14. Je suis enseignante du secondaire détachée dans le supérieur, je participe à la formation des futurs enseignants. Quels seront mes liens avec les enseignants-chercheurs et la recherche si je suis affectée à l’ENSP ?
15. Je suis enseignant-chercheur, j’interviens en master à l’INSPÉ, devrai-je maintenant intervenir en licence ? Quelle preuve de mes compétences dois-je apporter pour pouvoir enseigner à l’ENSP en Master, et auprès de qui ?
16. Je suis personnel de l’INSPÉ qui est une composante universitaire. J’entends dire que les ENSP pourraient être placées sous la tutelle de l’Éducation nationale. Quelles seraient les conséquences pour mon affectation ?
Questions des parents
17. Je suis parent d’élève, je me demande si les jeunes professeurs sont suffisamment maîtres des contenus disciplinaires quand ils démarrent leur carrière. Avec cette réforme, puis-je être assurée que tous les professeurs placés devant mes enfants maîtriseront leur discipline ?
18. Ma fille sera en terminale en 2024-2025 : est-ce qu’il y aura des stagiaires en formation dans son équipe enseignante ? Ces stagiaires seront-ils seuls devant la classe ? Quel recul professionnel auront-ils ? · Questions autour du droit à changer d’avis
19. Je suis étudiant en licence préparatoire au professorat des écoles et je ne veux finalement plus devenir enseignant, puis-je me ré-orienter sans reprendre mes études à zéro ?
20. Je suis étudiante, je voudrais faire un master recherche en parallèle de ma formation post-concours. Puis-je obtenir une césure entre l’année 1 et l’année 2 de la formation comme certifiée ? Ou après l’année 2 avant de prendre un poste ?
21. La part de l’initiation à la recherche dans les nouveaux masters sera-t-elle suffisante pour que je puisse m’inscrire en doctorat à l’issue du master ?
22. Je suis étudiant, je réussis le futur concours de professeur des écoles mais au bout des deux années, je me rends compte que ce n’est pas la voie professionnelle dans laquelle je souhaite durablement m’engager. Dois-je rembourser les indemnités touchées durant le M1 et le M2 ? En totalité ? Et sinon combien d’années de service dans l’Éducation nationale dois-je effectuer ? Pour accomplir ces années, puis-je travailler dans n’importe quel secteur de la fonction publique ou forcément dans l’éducation nationale ?
Questions autour des affectations et des recrutements
23. Je suis professeur du secondaire, je m’efforce de cumuler des points d’ancienneté pour pouvoir obtenir une mutation inter-académique me permettant de me rapprocher de mon conjoint. Que se passera-t-il si les néo-recrutés sont affectés prioritairement dans l’académie où ils ont passé leur concours ? Cela va-t-il retarder ma mutation de plusieurs années voire la rendre impossible ?
24. Je suis cheffe d’établissement dans un collège excentré, je peine à trouver des remplaçants quand mes professeurs sont malades ou en congé de longue durée. Le rectorat affectera-t-il des stagiaires dans mon établissement pour pallier le manque de remplaçants ?
25. Je suis chef d’établissement et j’accueille des stagiaires ayant des statuts différents. Il faut leur faire à chacun un emploi du temps spécifique, pour respecter les périodes de formation. Y aura-t-il tellement de contraintes que je serai obligé de faire des choix entre respecter l’emploi du temps des élèves ou respecter la formation des stagiaires ?
26. Je suis directeur d’un établissement privé. Pourrai-je recruter les professeurs issus du nouveau concours après que l’Éducation Nationale les aura formés durant deux ans ? Sont-ils tenus de servir dans des établissements publics ?