Un tramway nommé Banach
Dans mes conférences, je répétais consciemment toutes les idées deux ou trois fois en variant leur forme pour permettre à tous de souffler et de rêver un instant.
Ici ou là je glissais des anecdotes destinées à détendre l’atmosphère. Celle qui eut le plus de succès est relative à Banach, le grand mathématicien polonais mort peu après la guerre. Il avait introduit les espaces vectoriels normés complets, qu’on appelle partout en son honneur les « espaces de Banach ». La condition d’être complets est essentielle ; elle permet de trouver qu’une suite ou une série converge sans connaître à l’avance la limite.
Lorsque j’étais en Pologne, en 1959, j’avais été intrigué par un tramway portant l’écriteau « Banach » ; On m’expliqua que son terminus était la place Banach, ce qui ne me déplut pas (aucune place en France, à ma connaissance ne porte le nom d’un mathématicien). Pour le principe, me suis-je dit, je vais le prendre. Or ce fut impossible parce qu’il était... complet.
Cette petite histoire remportait tous les ans le même succès et les élèves se souvenaient ainsi de la définition des espaces de Banach.
À l’étranger, ce type d’astuce ne faisait pas rire, et était même parfois reçu dans un silence glacial, ce qui est profondément désagréable. Il semble qu’il s’agisse là d’humour exclusivement français !
Un mathématicien aux prises avec le siècle, p. 339