Bulletin Vert n°490
bulletin spécial « Centenaire de l’APMEP »

Les lycées et l’alternance politique Annexe 1
le GRIAM

Le GRIAM

Le GRIAM (Groupe de Réflexion Inter-Associations en Mathématiques) a pour objet principal la réflexion sur les objectifs de la formation en mathématiques dans le secondaire, et plus particulièrement l’articulation secondaire-supérieur.

Le groupe est constitué par des représentants des diverses associations de mathématiciens de ce pays :

  • l’Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public (APMEP), qui rassemble tous les enseignants de Mathématiques qui le souhaitent, de la maternelle à l’université,
  • la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles (SMAI), qui réunit des mathématiciens professionnels spécialisés dans les applications dont beaucoup enseignent dans le supérieur,
  • la Société Mathématique de France (SMF), qui regroupe des mathématiciens professionnels, donc beaucoup d’enseignants du supérieur,
  • l’Union des Professeurs de Spéciales (UPS), constituée des professeurs de Mathématiques mais aussi de Sciences Physiques exerçant dans les classes préparatoires scientifiques, ainsi que d’invités.

Ce qui nous a rassemblés, c’est tout d’abord un constat commun : l’enseignement secondaire des mathématiques, pour diverses raisons, joue mal son rôle dans la formation générale des élèves ; ensuite, c’est notre souci de donner une formation de qualité à tous les jeunes, pas seulement aux futurs polytechniciens ou aux futurs professeurs de mathématiques, mais à tous ceux qui fréquentent le lycée, général ou technique.

Notre entreprise a démarré sous l’impulsion de la SMF en avril 1996. Bien sûr, nous ne sommes pas les premiers à réfléchir sur les objectifs d’une formation en mathématiques. Rappelons, par exemple, le succès du colloque « Mathématiques à venir » en 1987.

Nous avons engagé ensemble plusieurs actions, en particulier sur l’enseignement de spécialité de Mathématiques en Terminale scientifique (dont on verra les résultats à la rentrée 1998), et nous avons organisé en mars 1997 au Palais de la Découverte un débat sur la place et le rôle des mathématiques aujourd’hui avec pour intervenants :

  • Claude ALLÈGRE
    géophysicien, en tant qu’auteur du livre « La défaite de Platon »
  • Michel BROUÉ
    mathématicien, membre du C.N.P.
  • François CUZIN
    biologiste
  • Didier DACUNHA-CASTELLE
    mathématicien
  • Ivar EKELAND
    mathématicien
  • Luc FERRY
    philosophe, Président du C.N.P.

En ce qui concerne le Lycée, nous nous trouvons actuellement dans une phase de production de textes destinés à servir de référence commune aux représentants de nos quatre associations. Référence commune sur laquelle ils pourront s’appuyer, lors des différentes commissions ministérielles portant sur les nouveaux programmes de mathématiques ainsi que sur l’évolution de l’épreuve du Baccalauréat, mais aussi, de manière plus générale, lors de débats devant la communauté nationale.

Le texte qui suit est un document de travail du GRIAM devant servir de point de départ. Il sera enrichi par des échanges avec des représentants d’autres disciplines, en particulier Physique, Chimie, Sciences de la Vie et de la Terre, Philosophie, et par les réactions de ceux qui le liront.

Lycée, quels programmes pour quels objectifs ?

Quels objectifs ?

Les programmes actuels de Mathématiques des lycées ainsi que les libellés des sujets du bac répondent clairement à deux soucis : celui de lutter contre un excès de formalisation et d’abstraction après la période des « maths modernes », et celui de rendre les mathématiques accessibles à un plus grand nombre d’élèves, accompagnant l’effort de démocratisation de notre enseignement secondaire.

Sans remettre en question ces deux choix, nous pensons que la gestion de la quantité a conduit à des démarches simplistes qui ont perverti l’enseignement des mathématiques au lycée, et qu’il est devenu indispensable de corriger cet enseignement à la fois à travers les programmes et à travers l’évaluation.

Les défauts des libellés actuels des programmes et des sujets de bac, et leurs conséquences

Les programmes actuels sont rédigés en deux parties : les « intentions majeures » et une liste de contenus accompagnés de commentaires.

Ces « intentions  » sont souvent excellentes, mais elles sont trop souvent contredites par les commentaires qui accompagnent les contenus. Par exemple, les « intentions » invitent les professeurs à entraîner leurs élèves à « choisir et utiliser les outils pertinents », mais quelques pages plus loin, on trouve des instructions officielles telles que : « toute intégration par parties doit faire l’objet d’une indication ».

La tentation est grande d’être plus attentif à la deuxième phrase qu’à la première, en fondant la pratique sur le niveau de difficulté qui attend les élèves le jour de l’examen. Ainsi les élèves apprendront alors à faire une intégration par parties lorsqu’elle est explicitement demandée, mais ne sauront pas nécessairement repérer les cas où c’est un outil efficace.

Ces phrases « modératrices » aboutissent ainsi à des suites d’exercices répétitifs sur des thèmes trop bien ciblés.

Ce type de pratique est encore encouragé par la nature des sujets de bac. Le long problème traditionnel est devenu une suite d’exercices convenus imbriqués où, pour éviter qu’une erreur ait trop d’importance, on donne trop souvent la réponse à la question posée et où l’on guide les élèves à l’excès en leur fournissant LA méthode à utiliser. Il n’est pas rare qu’un élève obtienne une note très convenable sans avoir du tout compris le fil directeur du problème.

Quand ce n’est pas l’énoncé, c’est le barème utilisé qui pervertit l’évaluation.

Une absence de réciproque, une manipulation approximative d’égalités modulo 2π sont souvent expressément acceptées par les consignes de correction, conduisant les examinateurs et donc les élèves à ne pas attacher assez d’importance à la qualité des raisonnements. L’élève est alors dissuadé de s’attarder sur des « subtilités » alors qu’un « à-peu-près » fournira le maximum des points.

Les effets de cette facilité sont ravageurs : cet enseignement, trop réduit à l’acquisition d’automatismes et de techniques, a d’abord pour effet de donner aux élèves une image fausse de ce que sont les mathématiques. Certains voient dans cette discipline quelque chose de purement algorithmique où il suffit d’appliquer à des situations classiques quelques recettes bien connues.

C’est ainsi qu’on aboutit à fausser l’orientation. Un élève qui a obtenu des notes acceptables au lycée et le jour du bac va trouver légitime de se lancer dans des études scientifiques. Il risque alors de rencontrer en mathématiques des obstacles que rien ne lui laissait prévoir.

En outre, en restreignant la complexité des situations proposées, on appauvrit singulièrement la formation : si tout se passe toujours bien, on méconnaît par exemple les problèmes d’existence et d’unicité. Dans ce cas, pour caricaturer, la classe de mathématique au lycée peut être vécue comme un lieu où l’on apprend des règles de bonne conduite, et où tout le problème, pour l’élève, est de savoir s’« il a le droit » de faire ceci ou cela.

Les « théorèmes admis » sans justifications sont devenus si nombreux que le statut des énoncés en mathématique échappe complètement à la plupart des élèves : ils ne font pas la différence entre une définition et un théorème, les deux étant noyés dans beaucoup de manuels sous le terme vague « d’information ». La nécessité de la démonstration pour établir la validité d’une affirmation est ainsi ignorée et c’est l’argument d’autorité ou l’efficacité pour résoudre les exercices qui valide aux yeux de l’élève les résultats qu’il doit connaître.

Ainsi le lycéen n’est pas formé correctement à l’apprentissage de la démarche scientifique.

Quant à la note obtenue le jour de l’examen, elle n’est pas toujours le signe de l’acquisition des compétences de base nécessaires au futur étudiant tout autant qu’au futur citoyen qu’il sera.

Les objectifs de la formation mathématique des lycéens

Les qualités formatrices de notre discipline doivent être exploités au mieux pour le plus grand bénéfice de tous les élèves, et ce quel que soit leur parcours.

Vouloir des mathématiques plus formatrices, ce n’est pas vouloir des mathématiques très abstraites et très techniques, mais c’est accorder de l’importance à la clarté des concepts, fournir un vocabulaire précis, donner des contre-exemples et pas seulement des exemples.

Les mathématiques ont ceci de précieux qu’elles sont à la fois une école de rigueur et de créativité. L’intuition, l’imagination, l’exploration d’exemples suggèrent des conjectures ou une stratégie possible de démonstration, et c’est la clarté de l’argumentation qui va permettre de critiquer ces idées et d’établir fermement une vérité. La précision du raisonnement valorise donc la créativité, à condition que l’on donne à l’élève l’occasion de l’exercer.

Une autre qualité essentielle à développer dans le cours de mathématique est l’autonomie. Mais il faut pour cela que l’élève ait l’occasion de se « débrouiller » seul, d’exercer des choix, de tâtonner. S’il ne rencontre jamais que des situations déjà explorées et complètement balisées, il n’en aura jamais l’occasion.

Tous les lycéens devraient en outre trouver dans leur formation mathématique les moyens de dominer les questions soulevées par l’information chiffrée : ils doivent apprendre à débusquer les non-sens et les contresens d’écrits habillés de données statistiques mal utilisées, et cette démarche doit être menée dans toutes les séries. La formation à l’esprit critique est une des qualités développées par notre discipline.

En conclusion, le cours de mathématique doit être un lieu de formation au raisonnement où les arguments d’autorité sont bannis et où toute vérité doit recevoir une justification, soit qu’on la démontre, soit qu’on donne une idée de sa démonstration, soit qu’on explique pourquoi on ne la démontre pas.

Des propositions pour améliorer la situation actuelle

La pratique d’activités préparatoires introduisant une notion nouvelle, aujourd’hui largement préconisée, permet de « donner du sens » aux objets étudiés. Ces activités doivent aider les élèves à se forger des images mentales fructueuses et favoriser leur intuition en approfondissant la réflexion sur les concepts. Elles gagnent à s’appuyer sur des applications classiques, par exemple vitesse instantanée pour introduire la dérivée, centre d’inertie ou moyenne pondérée pour introduire le barycentre de façon à montrer le rapport des mathématiques au monde réel et aux autres disciplines.

Il est fondamental que ces activités conduisent à une synthèse qui généralise clairement les résultats obtenus en donnant tout leur statut aux définitions et aux théorèmes. Les démonstrations ne doivent pas alors avoir un statut d’exercice, mais doivent clairement aux yeux de l’élève servir de justification à tel ou tel résultat. La pratique de l’argumentation demande une habitude et le contact des démonstrations dans le cours sous la houlette du professeur est un des moyens de l’acquérir.

De façon générale, le raisonnement doit avoir, dans les activités, une place importante. En particulier, il nous semble indispensable que les élèves soient expressément entraînés à distinguer ce que sont une condition nécessaire, une condition suffisante, une condition nécessaire et suffisante et à les reconnaître sous différentes formulations.

Pour cela, il ne faut pas craindre les situations un peu complexes, en particulier celles qui impliquent des démonstrations par disjonction de cas, notamment dans les problèmes comportant des paramètres.

La rencontre de problèmes plus ouverts doit faire comprendre aux élèves en quoi consiste l’activité mathématique, et doit les amener à ne pas s’en faire une image trop « rassurante ». Le cours de mathématique doit au contraire être un lieu de recherche, où l’imagination et la créativité ont toute leur place.

Ce type de travail amène les élèves à réagir devant des situations inconnues où ils découvrent tout l’intérêt d’une réflexion maîtrisée et où ils comprennent la nécessité des outils qu’ils manipulent.

Enfin, le cours de mathématique doit être un lieu de dialogue où la formulation est encouragée même et surtout si elle est imparfaite. Les erreurs doivent être l’occasion d’une réflexion et non d’un rejet.

En Mathématiques comme dans toutes les autres disciplines, les élèves apprennent à communiquer et à transmettre à autrui le résultat de leur travail.

Après des activités préparatoires bien menées, on peut demander aux élèves d’utiliser un vocabulaire précis et de mettre en évidence des enchaînements logiques.
Ainsi, lorsqu’un problème a été bien compris et une solution trouvée, le travail se conclut par une rédaction soignée. C’est une des contributions spécifiques de l’enseignement des mathématiques à la formation générale des élèves. L’habitude de l’à-peu-près serait à coup sûr un handicap pour leur avenir.

En conclusion de cette partie

Nous pensons qu’en mettant ainsi l’accent sur l’autonomie des élèves et sur la formation au raisonnement, l’enseignement des mathématiques peut jouer pleinement son rôle dans la formation générale des élèves.

Ces principes devront se traduire non seulement dans les préambules des programmes mais aussi à travers les choix et la rédaction des contenus.

Pour que ce travail sur les programmes ait quelque efficacité, il est indispensable de travailler conjointement à une transformation de l’épreuve du Baccalauréat : ce sont les objectifs pédagogiques qui doivent piloter l’examen et non le contraire, et l’épreuve de bac devrait être conçue de façon à encourager une formation de qualité.

Quels programmes ?

Après avoir présenté les objectifs généraux d’un enseignement des mathématiques au lycée, analysons de manière plus détaillée les contenus qu’il nous paraît souhaitable d’enseigner en fonction des objectifs propres à chaque série.

Une critique adressée à certains programmes antérieurs est d’avoir trop procédé par élimination à partir d’une série « noble » : la série scientifique.

C’est pourquoi, après des remarques générales, nous proposons de nouveaux points de départs pour les séries littéraires et artistiques. Ce texte évoquera peu le programme de la série ES, refait plus récemment et qui a déjà été l’objet d’une réflexion spécifique (du moins en première). Hormis les séries Art appliqués, il ne parle pas des séries technologiques et professionnelles pour lesquelles la réflexion est en cours.

L’enseignement des mathématiques au lycée est divisé actuellement en grands chapitres. Le plus volumineux est l’analyse dont le but de fait est l’acquisition de techniques permettant d’arriver à la représentation graphique d’une fonction donnée par une formule. L’algèbre se résume à des manipulations et à des calculs. La géométrie a failli disparaître et subsiste surtout sous forme calculatoire. La théorie des ensembles et la logique n’apparaissent presque plus de manière explicite.

Ce déséquilibre et ce cloisonnement risquent de faire oublier les buts de l’enseignement des mathématiques : rendre familiers, donc transposables dans des contextes variés, des concepts de base utiles pour tous, dans toutes les séries et mettre en évidence l’enchaînement des concepts et la démonstration des théorèmes afin de former le raisonnement et l’esprit critique. Par exemple le raisonnement logique, les probabilités [1] et la mise en équation algébrique d’une situation simple accompagnée de sa résolution devraient figurer dans la culture de base de tout citoyen du vingt-et-unième siècle.

Séries littéraires et séries « arts appliqués »

Dans ces sections, les enseignants se trouvent en face d’élèves ayant souvent vécu un échec en mathématiques ou du moins ayant des goûts qui ne les dirigent pas vers les sciences. La difficulté, à notre sens, consiste donc à leur faire découvrir que les mathématiques peuvent les intéresser et leur apporter un enrichissement. Dans ces classes, nous proposons d’aborder les mathématiques à partir de la vie courante et de l’histoire des idées ou des arts en s’appuyant sur divers documents.

Par exemple, l’étude d’un texte permet de dégager un énoncé mathématique sans commencer par décrypter une formule. Il devrait ensuite être possible de revoir avec davantage de maturité des notions de base.

L’utilisation de la vie de tous les jours peut fournir une piste pour motiver les élèves. On peut s’appuyer sur la lecture de documents utilisant des arguments apparemment mathématiques, par exemple journaux, publicités, manuels de géographie.

On pourrait imaginer un programme faisant appel aussi à l’étude de textes classiques ; il en existe de très beaux, de l’antiquité grecque à nos jours, et sur des sujets variés (par exemple, certains textes d’Euclide, Aristote, Pascal, Descartes, Poincaré, …).

Pour les élèves suivant un enseignement artistique, on pourrait partir de textes écrits par des peintres ou des architectes ou d’œuvres d’art afin de développer une bonne vision de l’espace.

Ces thèmes pourraient figurer au programme ou être renouvelés périodiquement.

Ils permettraient de présenter ou de revoir des concepts mathématiques qui pourront se révéler fort utiles, même aux non-scientifiques, dans leur vie d’étudiant, dans leur vie professionnelle et dans leur vie quotidienne.

Nous pensons à quelques éléments de logique, des notions de probabilité et de statistiques, une approche des fonctions à l’aide de leur représentation graphique. Par contre, nous pensons qu’il n’est pas utile de consacrer beaucoup de temps aux techniques d’études de fonctions données par une formule.

Il conviendrait en outre de développer chez les élèves une vision géométrique dans le plan et dans l’espace. Enfin, pour souligner leurs interactions et ouvrir la voie à une réflexion globale en liaison avec les autres disciplines, il nous semble important de croiser les thèmes ci-dessus.

Nous sommes conscients des difficultés que vont rencontrer les enseignants désirant mettre au point des cours dans cet esprit. En plus de textes d’appui, il faudrait prévoir dans la formation initiale comme dans la formation continue une préparation à ce type d’enseignement.

Séries économiques

Le programme de la série économique prend déjà en compte la spécificité de la filière. Ces élèves auront besoin d’une bonne capacité d’analyse critique de l’information chiffrée. Il convient donc d’insister sur les statistiques et les probabilités dont le rôle modélisateur est très formateur, tout en conservant les bases de la logique, utiles pour toute analyse pertinente. Le temps consacré à la géométrie peut être diminué, en essayant toutefois de préserver l’initiation à l’espace. On pourrait donner la priorité au travail sur des tableaux, en s’aidant de logiciels maintenant très conviviaux. Si des éléments d’analyse sont indispensables, plutôt que de passer beaucoup de temps à maîtriser des techniques de calcul (dérivées, limites, …), il nous semble plus formateur d’habituer les élèves à tirer des informations d’un graphe.

Un minimum d’arithmétique pourrait également être introduit.

Séries scientifiques

Nous proposons ici quelques thèmes, bases à notre avis d’un programme de mathématiques en première et terminale scientifique. Ils sont choisis pour permettre aux élèves de parvenir à la maîtrise des raisonnements mathématiques essentiels, et à leur utilisation dans les situations variées où les élèves pourront développer imagination et créativité.

Il nous paraît essentiel, chaque fois que c’est possible, d’enchaîner les résultats par des démonstrations. Nous sommes conscients du fait que toutes les preuves ne seront pas d’emblée assimilées complètement par tous les élèves. Au moins, de cette façon, ils ne verront pas les mathématiques comme une liste de recettes.

Lorsqu’une démonstration est hors de portée au niveau secondaire, une argumentation justifiant la solution et cernant la difficulté nous paraît nécessaire.

Le professeur doit pour cela s’appuyer sur une compréhension profonde du sujet afin que des explications intuitives n’induisent pas d’idées erronées.

Des activités bien choisies et des références à l’histoire des mathématiques permettent de présenter la longue démarche de construction de certains concepts. Les élèves pourront peut-être alors mieux comprendre pourquoi il y a des idées difficiles à assimiler.

De manière un peu arbitraire, regroupons les notions en quatre thèmes :

  • Logique, ensembles et probabilités.
  • Organisation de l’espace.
  • Nombres, algèbre et algèbre linéaire.
  • Analyse.

Reprenons ces thèmes de manière plus détaillée.

Logique, ensembles et probabilités

L’ère des « Maths modernes » est terminée depuis suffisamment longtemps pour qu’il soit possible d’envisager d’un œil neuf la possibilité d’introduire à nouveau quelques éléments de la théorie des ensembles, en sachant que personne ne souhaite retomber dans les travers passés. Autant le langage élémentaire de celle-ci est utile, autant les raffinements techniques sont à proscrire.

Les notions essentielles sont celles d’appartenance, d’inclusion, d’intersection et d’union. La compréhension de la notion d’implication peut être améliorée par la donnée fréquente de contre-exemples. Le lien avec le langage de la géométrie (intersection et union de lieux géométriques) est bien sûr utile.

Il nous semble que ces notions gagnent à être présentées simultanément avec les probabilités de même que la manipulation combinatoire des ensembles finis, pour une meilleure harmonisation de domaines complémentaires.

Expliquer ce que veut dire « au hasard », distinguer un événement rare d’un événement improbable dans le cadre d’un modèle donné nécessite aussi un minimum de connaissances en statistiques.

La démarche globale de modélisation d’un problème peut être présentée à l’occasion d’interprétation de statistiques.

Le contrôle des résultats du calcul est alors important, surtout s’ils sont obtenus avec l’aide d’une calculatrice ou d’un ordinateur. Cela permet de vérifier leur adéquation avec l’expérience, avec les informations données par l’environnement auquel on reste connecté.

Géométrie et usage de la mesure en géométrie

Il existe une forte demande de compétences en géométrie, en particulier de la part des physiciens, des chimistes et des architectes. L’enseignement de la géométrie est aussi l’occasion d’une initiation à la vision bi et tridimensionnelle (plans, sections, projections) utile pour tous les métiers utilisant le traitement d’images.

Avant de pouvoir manipuler des objets complexes comme les courbes ou les surfaces de $\mathbb R^3$ , il est nécessaire de revoir avec un peu plus de maturité les notions de longueur, d’aire et de volume. On pourrait par exemple présenter la démarche d’Archimède permettant d’encadrer la longueur d’un cercle à l’aide de longueurs de polygones et l’aire d’un disque à l’aide d’aires de réunions de rectangles contenus dans le disque ou le contenant. Ce serait de plus une bonne préparation à l’introduction de l’intégrale.

Nous proposons de conserver l’usage de coordonnées dans $\mathbb R^2$ et $\mathbb R^3$ . C’est l’occasion d’insister sur l’importance des échelles choisies sur chaque axe, et de la position des axes. Cela permet d’additionner, de multiplier par un scalaire des couples et des triplets de nombres.

On pourra ensuite paramétrer des figures : droites, segments de $\mathbb R^2$ et $\mathbb R^3$ , plans de $\mathbb R^3$ , cercle de $\mathbb R^2$ (avec un peu de trigonométrie), sphère de $\mathbb R^3$ , puis quelques courbes.

C’est aussi l’occasion d’observer la linéarité de certaines applications, et d’écrire explicitement les coordonnées des points de la transformée d’une figure par une transformation linéaire. La présentation en tableau du résultat est l’occasion de montrer le lien entre la géométrie et les systèmes d’équations linéaires à deux ou trois inconnues.

Introduire des transformations permet de préciser la notion d’analogie et de situation semblable. L’étude de groupe d’isométries préservant globalement une figure plane permet déjà d’observer une structure de groupe non commutatif sans avoir besoin d’introduire au préalable la définition d’un groupe abstrait qui peut être laissée à l’enseignement supérieur.

Des documents d’accompagnement permettraient aux professeurs d’avoir les arrière-pensées indispensables pour éviter les dérapages que peuvent induire le compromis nécessaire entre le seul appel à l’intuition et la rigueur, non justifiée à ce niveau, d’une présentation plus axiomatique.

Nombres, algèbre, algèbre linéaire

Comme en géométrie, le cours doit être un compromis entre le recours à l’intuition et la déduction à partir de définitions précises. Afin de motiver les démonstrations, il est nécessaire d’expliciter chaque fois ce qui est admis, ce qui est démontré, et renforcer à l’aide de contre-exemples la pertinence des résultats
démontrés.

Ensembles de nombres

Au lycée, l’ensemble des réels $\mathbb R$ est manipulé sans être vraiment introduit. Cette situation s’explique par la complexité des constructions de $\mathbb R$ qui ne sont pas abordables à ce niveau.

Par contre, il conviendrait d’introduire explicitement l’ensemble $\mathbb Q$ des rationnels pour ne pas passer directement des décimaux aux réels. De plus, il est souhaitable que les élèves entendent parler de nombres non rationnels.

On pourrait se limiter, au niveau secondaire, à la démonstration de l’existence de nombres irrationnels (radical de 2, radical de 3) pour ensuite admettre l’existence d’un ensemble de nombres correspondant à la droite. Des commentaires sur les approximations décimales devraient suffire à développer une bonne intuition. Avec l’usage des nombres entiers, rationnels ou réels, et l’introduction d’un peu d’arithmétique, l’occasion se présente de comprendre des schémas de démonstration par récurrence. La notion d’approximation permet de préparer la construction des réels présentée à l’université. L’arithmétique fournit des problèmes un peu complexes ne faisant pas appel à beaucoup de connaissances.

Comme les problèmes comportant des paramètres, les problèmes d’arithmétique demandent des raisonnements soigneux en particulier comportant la disjonction des cas possibles. Elle permet aussi de revoir les systèmes de numération et la mesure des angles (le fameux « modulo 2$\pi$ »).

La construction des nombres complexes permet de souligner une structure faisant appel à deux opérations, structure trop familière dans $\mathbb R$ pour être remarquée, sans aller obligatoirement jusqu’à donner la définition d’un corps.

Algèbre linéaire

La discussion des systèmes linéaires à un nombre quelconque d’inconnues et d’équations, les notions de noyau et d’image d’une application linéaire relèvent de l’enseignement supérieur. Cependant résoudre en première des systèmes de deux équations à deux inconnues et en terminale des systèmes de trois équations à trois inconnues, pouvant dépendre de manière simple d’un paramètre nous semble indispensable. S’interdire de disposer le système en tableau, puis ses coefficients en tableau, pour observer la linéarité des fonctions $x\rightarrow(ax + by)$ ou $x\rightarrow (ax + by + cz)$, c’est laisser passer une occasion de remplacer une recette par la compréhension d’une notion mathématique. Ce chapitre permet aussi de présenter d’importantes applications (chimie, électricité, calculs de coûts et de prix de revient, …).

Une réflexion sur les calculs linéaires qui peuvent être faits à l’aide de calculatrices programmables nous paraît importante. En effet chaque invention d’un outil nouveau diminue l’intérêt d’un savoir mécanique mais augmente celui d’une compréhension du mécanisme. Pour contrôler le résultat proposé par une machine il faut comprendre quelles sont les opérations effectuées !

Analyse

Il nous paraît possible d’alléger considérablement la partie « technique de calculs » de ce chapitre. En effet le poids à notre avis excessif des calculs de dérivées et des constructions de graphes de fonctions, renforcé par la pratique du baccalauréat, substitue l’acquisition de mécanismes à la pratique du raisonnement. De plus les logiciels courants ont périmé cette compétence hier nécessaire pour des techniciens ou des ingénieurs.

Pour justifier l’étude de l’analyse au lycée, il faudrait s’appuyer davantage sur les autres chapitres du programme et sur les applications des mathématiques.

La plus grande difficulté du chapitre est peut-être la notion de limite, d’abord d’une suite, puis d’une fonction. Il nous semble qu’en Terminale, à la fin de l’étude de ce chapitre, on peut aboutir à la compréhension de la définition complète : « Quel que soit epsilon, il existe alpha …  ».

Si la définition était le point de départ, le risque de l’utiliser comme une formule magique non comprise serait réel. Si on la conçoit comme un point d’arrivée après de nombreux exemples, appuyée par une illustration graphique, elle peut consolider une notion déjà convenablement perçue.

Mentionner la longue histoire de la naissance de cette notion peut aussi aider à en percevoir la portée. Les définitions de la continuité d’une fonction, et de la dérivée comme limite de pentes de sécantes, seraient alors plus simples à introduire.

L’étude des fonctions devrait être renouvelée. Rappelons que nous pensons peu raisonnable de développer l’acquisition de mécanismes que possèdent des calculatrices programmables de coût modéré. Il nous semble que l’étude de fonctions provenant d’autres disciplines permettrait de motiver le choix des fonctions étudiées. Choisir des paramètres pour déterminer dans une famille la fonction décrivant le mieux une donnée expérimentale est aussi un exercice formateur. Une discussion sur le procédé de choix et le choix initial de la famille de fonctions permet de développer l’esprit critique ; la discussion du domaine de définition devient alors pertinente. Cela peut être l’occasion d’une utilisation réfléchie des calculatrices.

En physique et en économie les occasions de rencontrer des fonctions non affines $(ax^2 + bx + c, l/x, a log(bx) et a e^{bx}$ ne manquent pas. La démarche de Galilée arrivant à la loi de la chute des corps est un excellent exemple de construction de fonction solution d’un problème. La fonction logarithme résout, elle, un problème mathématique, transformer les produits en sommes. L’échappatoire consistant à faire comme si toutes les fonctions étaient dérivables nous paraît dangereuse puisque notre but est de montrer la puissance et la flexibilité de la fonction comme outil plutôt que d’acquérir des techniques de calcul.

Nous souhaitons aussi que continuité et dérivabilité ne soient pas des mots magiques servant à orner une copie. Il suffit d’ouvrir un journal pour voir des graphes de fonctions non continues ou non dérivables. Ici encore un bref exposé historique aiderait les élèves à comprendre que les notions de fonction, continuité et dérivabilité ne sont pas apparues en un jour. Il serait souhaitable de ne pas escamoter les démonstrations les plus simples (dérivée d’une somme, peut-être d’une composée, …).

Nous préférons aussi définir l’intégrale à l’aide de l’aire, plutôt que comme une primitive. Ainsi les élèves peuvent en acquérir une vision intuitive mieux que par un calcul.

Quels moyens ?

Aide aux enseignants et formation

Pour trouver un bon compromis entre l’appel à l’intuition et la formalisation, il faut pouvoir s’appuyer sur une connaissance solide du sujet ; une sensibilisation au processus historique ayant abouti à une définition devrait aider le professeur à en faire percevoir la nécessité et la subtilité à ses élèves. Pour cela il devra disposer d’une documentation variée fournie par le ministère.

Cette documentation devrait proposer :

  • des applications effectives des notions mathématiques qui s’y prêtent (vecteurs, exponentielles, fonctions linéaires, usage de fonctions non linéaires, groupes de transformations, …),
  • des textes historiques abordables en lycée,
  • des textes thématiques écrits spécialement pour apporter des éclairages modernes sur des questions classiques.

Comme tout changement, celui que nous proposons doit être accompagné d’un effort de formation continue concernant tous les enseignants, et d’adaptation de la formation initiale.

Usage de calculatrices et de logiciels

Calculettes et micro-ordinateurs sont maintenant disponibles à un prix abordable et sont très largement utilisés dans la vie professionnelle. Dans de nombreuses professions l’usage d’un tableur est devenu indispensable.

L’apprentissage de techniques de calculs maintenant exécutés rapidement par des machines modestes ne peut plus se justifier que par leur rôle formateur.

En même temps, l’usage non contrôlé de cet outil peut faire perdre toute réflexion sur les solutions apportées à un problème.

Il devient essentiel d’habituer l’élève à planifier un procédé d’approximation et à contrôler le résultat proposé par une machine. Toute la difficulté, à tous les niveaux d’enseignement, est de faire en sorte que dans le couple élève-calculette, la pensée soit du côté de l’élève. Pour cela il doit savoir estimer des ordres de grandeur, interpréter des données fournies avec ou sans échelle

Pratiquement, il semble utile d’explorer deux voies :

  1. Effectuer une partie du travail (exercices et évaluation) sans calculette.
    Retrouver, par exemple, les ordres de grandeur de solutions par un calcul mental.
    Discuter la démarche pour résoudre le problème avant de mettre en œuvre les calculs.
  2. Contrôler systématiquement le résultat donné par la calculette, vérifier qu’il résout bien le problème, et s’assurer de l’absence d’autres solutions.

Il nous semble indispensable que l’on approfondisse la réflexion sur l’usage des outils de calcul dans un cours de mathématiques, et que l’institution prenne ses responsabilités. Ces nouveaux outils sont une chance et non une menace. Cependant les capacités variées des calculettes (mémoire, calcul formel) posent de sérieux problèmes d’équité pendant les examens.

À propos de l’écriture des programmes

Deux écueils sont à éviter : une formalisation excessive qui infailliblement dérive vers l’introduction d’un vocabulaire dont l’acquisition devient la principale difficulté, et le recours à la seule intuition qui prend le risque de ne laisser en mémoire qu’un catalogue de notions floues non reliées entre elles.

Les programmes devraient être conçus pour favoriser des activités variées développant l’autonomie des élèves. Il faut éviter d’imposer à l’élève une méthode unique, faciliter les changements de registre, déboucher sur des activités de recherche.

Cela implique le choix d’un nombre assez restreint de contenus théoriques, qui devront être présentés sans escamoter leur complexité. Cela nécessite aussi de prendre du temps pour une démarche de recherche que souvent les élèves apprécient.

Un des critères de choix sera précisément la richesse des thèmes, à la fois intrinsèque et comme outil de résolution de problèmes. La conception des mathématiques comme une science pure, jeu autonome dans le monde des idées, est peut-être confortable pour quelques uns.

Mais cette conception gomme les interactions pourtant si fécondes, entre les mathématiques et les autres sciences. Plutôt que de se limiter à des vœux pieux, les programmes devront proposer des exemples précis d’applications des mathématiques.

En conclusion, les mathématiques sont un outil indispensable dans une société complexe. Leur pratique éveille l’imagination, l’intuition et forme le raisonnement.

N’oublions pas que certains résultats font partie de notre culture au même titre qu’une œuvre littéraire ou artistique.

Nous pensons que nos propositions permettront que les mathématiques du lycée jouent pleinement ces différents rôles.

 

Notes

[1Une initiation aux probabilités pourrait même avoir lieu dès le Collège.

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Les Régionales de l’APMEP