Bulletin Vert n°490
bulletin spécial « Centenaire de l’APMEP »

Les lycées et l’alternance politique Annexe 2
l’enseignement des mathématiques au collège

Préambule

En tant qu’enseignants de mathématiques, nous ne transmettons pas seulement un savoir « abstrait » : nous avons aussi, à travers notre discipline, et dans le contact quotidien avec les élèves, un rôle éducatif que nous assumons.

Le principal objectif de l’enseignement des mathématiques n’est pas l’accumulation de connaissances, mais, à travers les savoirs et savoir-faire du programme, le développement de la pensée critique et déductive, le développement de qualités telles que la curiosité, l’imagination, l’effort et la persévérance, la méthode, la rigueur, la défiance des apparences, la capacité d’argumenter, l’écoute, la tolérance.

Dans cette optique, notre façon d’enseigner a beaucoup évolué : la recherche personnelle, la prise de parole des élèves, les débats dans la classe sont désormais des éléments fondamentaux dans le déroulement d’un cours de mathématiques.

L’accent que nous mettons sur ces aspects de formation personnelle ne doit pas occulter l’importance des contenus.

Les mathématiques sont une discipline fondamentale en ce qu’elles fournissent des outils indispensables à toute démarche scientifique. Cette démarche, instrument pour plus de lucidité, donc pour plus de liberté, ne doit pas être réservée à une poignée de futurs experts scientifiques.

Constats

Le collège unique : un principe, mais aussi une fiction

Un premier constat est celui de la grande diversité, voire de la grande disparité des situations. Le « collège unique » recouvre des réalités de classe très différentes. Ceci tient, d’une part, à la globalisation des horaires et à l’autonomie des établissements, d’autre part, à l’évolution sociale qui tend parfois à la formation de « ghettos » : les établissements difficiles sont fuis par les parents soucieux de l’avenir de leurs enfants, et dans beaucoup de collèges, pas forcément les plus difficiles, on a vu ces dernières années se multiplier les filières déguisées (classes européennes ou autres), qu’on peut aussi considérer comme des ghettos de luxe.

Entre autres effets pervers, ceci a souvent pour conséquence l’augmentation du nombre de classes difficiles.

On ne peut cependant pas nier la réalité des problèmes qui sont à l’origine de ces phénomènes : l’inquiétude des parents est, dans certains cas, fondée. Posons-nous la question suivante : un élève lambda rentrant dans une classe lambda d’un collège est- il assuré de pouvoir simplement travailler ?

Hétérogénéité

Il nous semblerait sain de distinguer hétérogénéité sociale et hétérogénéité scolaire. La première notion a peu de sens dans certains collèges (en ZEP ou dans les quartiers privilégiés). D’autre part, la corrélation statistique entre origine socio-culturelle et réussite scolaire est trop souvent interprétée de manière déterministe. Si toutes les mesures visant à une plus grande mixité sociale (et dont bien peu dépendent de l’Éducation Nationale) nous semblent à développer, nous avons un avis plus réservé sur une trop grande hétérogénéité scolaire. Quand celle-ci dépasse un certain seuil, la gestion collective de la classe peut devenir impossible ; or une classe ne saurait être une juxtaposition de cours particuliers…

Classes difficiles

M.-J. Perrin (IREM Paris VII) a écrit là-dessus des choses très intéressantes. Une classe difficile est une classe dans laquelle le poids des élèves en difficulté fait basculer l’enseignement. Les enseignants ont tendance à s’adapter en simplifiant et en algorithmisant les contenus. Dans une classe difficile, par exemple, le professeur de mathématiques ne crée pas de débats, il ne peut que faire travailler sur des fiches individualisées.

L’apprentissage est plus centré sur des techniques que sur du sens. À court terme, la classe « fonctionne », certains élèves peuvent être encouragés, mais il y a un manque d’enjeux. Le risque est d’enfermer les élèves dans une vision réductrice et peu motivante des mathématiques (qui est la leur au départ) et donc d’alimenter des difficultés futures.

Élèves difficiles, élèves en difficulté

Actuellement, le fait d’éprouver des difficultés a une connotation négative. C’est pourtant inhérent à tout apprentissage. C’est le cumul des difficultés non surmontées qui fait d’un élève un élève en difficulté. C’est souvent aussi le sentiment d’échec qui en découle qui fait d’un élève un élève difficile. Beaucoup de comportements violents et perturbateurs signalent la révolte d’élèves qui ne trouvent pas leur place au collège.

Un élève en grande difficulté, c’est simplement un élève qui a des difficultés insurmontables dans la structure où il se trouve.

D’après beaucoup de collègues, le nombre d’élèves en difficulté tendrait à augmenter et, par conséquent, il y aurait multiplication des classes difficiles.

On invoque les difficultés socio-économiques des parents, une certaine anxiété vis-à-vis de l’avenir aussi, qui créent certainement un terrain, défavorable à l’investissement scolaire des enfants. On peut se demander si le système d’enseignement actuel n’est pas lui-même générateur de difficultés supplémentaires.

Le passage de classe en classe

Puisqu’on parle d’éducation citoyenne à propos des statistiques, il serait temps de dénoncer le raisonnement suivant : « les statistiques montrent qu’un élève qui a redoublé une classe fait de moins bonnes études qu’un élève qui n’a jamais redoublé (variante : un élève qui redouble le CP a très peu de chances d’avoir son bac), donc le redoublement est inutile ».

La diminution du taux du redoublement peut-elle être considérée. comme un indice de réussite, quand cela signifie simplement qu’on fait passer de classe en classe des élèves qui d’abord peinent un peu, puis sont en difficulté, puis en échec grave ?

Lorsque le redoublement d’un élève en difficulté est considéré comme inutile, le passage dans la classe suivante n’est pas non plus une solution. Il est source d’illusions et d’incompréhensions chez les élèves et leurs parents.

Les alternatives au redoublement (SEGPA, Classes technologiques ou d’insertion) se raréfient. Elles sont souvent refusées par les parents qui préfèrent pour leurs enfants le circuit « normal ».

Les structures et dispositifs d’aide

Les moyens actuels de régulation sont visiblement insuffisants. Un rapport de l’I.G. signale que, selon les observations recueillies en sixième, les dispositifs de consolidation sont favorables aux élèves « moyens », mais peu efficaces pour les élèves en grande difficulté. Le terme de consolidation est sans doute inapproprié pour ces derniers.

Le cas des quatrièmes dites d’aide et soutien mérite d’être développé. Ces classes à effectif réduit regroupent des élèves ayant un niveau faible, très souvent des élèves ayant suivi une sixième de consolidation et qui se sont retrouvés ensuite en échec dans une cinquième hétérogène.

Ces classes posent un certain nombre de questions :

  • leur statut varie suivant les établissements, peut-être faudrait-il dire suivant les chefs d’établissement. Ce peut être une classe intermédiaire entre la cinquième et la quatrième, ce qui revient à proposer explicitement aux élèves une cinquième-quatrième en trois ans. Ce peut être une classe « de rattrapage », où la seule différence avec une autre quatrième est le petit effectif et l’homogénéité, et dans ce cas la plupart des élèves se retrouvent l’année suivante en troisième, complètement noyés de nouveau. Ou encore, le statut peut être flou, tout se passe au cas par cas.
  • le recrutement se fait suivant des critères très variables — niveau scolaire comportement, accord des parents — pas toujours appliqués de manière cohérente,
  • dans ces classes, tous les enseignants adaptent non seulement leurs méthodes, mais les contenus et les niveaux d’exigence. Un des premiers objectifs est de redonner confiance aux élèves. Ceux-ci se retrouvent souvent avec des bulletins satisfaisants et, si le statut de la classe n’a pas été clairement précisé, ceci entraîne souvent une incompréhension quand se pose la question de l’orientation,
  • la position de l’institution est celle de l’ambiguïté, voire de l’hypocrisie. Ainsi un collège qui a mis en place une quatrième d’aide et soutien va se voir refuser l’ouverture d’une troisième d’insertion, au motif d’éviter la formation de filières.

Conséquence fréquente : tel élève ayant demandé et obtenu une troisième d’insertion où il a toutes les chances de réussir va changer d’avis en voyant inscrit sur son bulletin : passage en troisième. La raison invoquée est qu’il ne veut pas changer de collège. Le mot « passage en troisième » fonctionne aussi certainement comme un sésame magique. Un lent et patient travail de discussion, de prises de contact, etc., s’effondre d’un coup.

Le sens du savoir

Des sociologues comme B. Charlot, F. Bautier, … s’attachent depuis des années à étudier les difficultés scolaires, en particulier à travers la notion de rapport au savoir.

Ils ont fourni des analyses fines des contresens, des malentendus qui se développent entre élèves et enseignants. Un des problèmes majeurs n’est-il pas l’identification par l’élève de l’activité intellectuelle à mettre en œuvre pour satisfaire les exigences scolaires ? Le brouillage actuel sur ces exigences est un obstacle supplémentaire à la construction du sens des apprentissages.

Propositions

Des alternatives au modèle unique

Il existe, et il existera toujours, une frange d’élèves rétifs au système scolaire.
Pour ces élèves, il faut des structures plus souples, plus personnalisées, une approche souvent concrète, …, qui laissent ouverte la possibilité de revenir ultérieurement dans le circuit « standard », même si cela se traduit par des années de « retard ».

Réorganiser les enseignements

Malgré les discours théoriques sur la revalorisation de l’enseignement professionnel, la part des activités manuelles est de plus en plus réduite au collège.

La partie expérimentale des sciences a la part congrue. L’EMT d’antan ne devrait-elle pas retrouver une place dans le collège de l’an 2000 ?

Nous défendons l’importance des activités expérimentales en mathématiques, en particulier en géométrie.

Bien entendu, ces activités sont gourmandes de temps. Comment concilier la multiplicité des disciplines ? Il faut sortir du carcan actuel de l’horaire hebdomadaire invariable. Ne peut-on concevoir un enseignement modulaire, où certains enseignements seraient concentrés sur certaines périodes de l’année ? Cette structure pourrait permettre le déroulement de modules indépendants du niveau de classe, l’unité classe restant liée à une partie commune des enseignements.

Réfléchir à l’emploi des NTIC

En même temps qu’ils ouvrent d’extraordinaires possibilités, les outils modernes de calcul et de communication introduisent de nouveaux problèmes d’enseignement.

Les calculatrices, les logiciels de calcul formel, par exemple, tout en allégeant la partie technique, ne dispensent pas des apprentissages de base, et réclament de surcroît une maîtrise et une compréhension de l’outil.

Loin du discours incantatoire sur l’outil magique Internet, il y a nécessité d’un travail patient et concerté, d’une formation des enseignants appuyée sur la recherche en didactique de la discipline. C’est leur pertinence avérée par rapport à des objectifs d’enseignement bien identifiés qui doit décider de l’usage de nouvelles technologies.

Le service des enseignants

Les services enseignants doivent prendre en compte la diversité des tâches autres que l’enseignement proprement dit : concertations, réunions, rencontres, suivi des élèves, …

Ces tâches qui s’ajoutent aux nombreuses actions dont l’objectif est l’intégration de l’élève dans la société sont devenues indispensables, mais leur mise en place ne doit pas empiéter sur les horaires des disciplines. Le temps réservé à l’enseignement ne doit pas être réduit et remplacé par la prise en charge éducative et sociale des élèves.

Nous déplorons que, trop souvent aujourd’hui, pour des raisons d’ajustement de services, des classes soient partagées entre deux enseignants — y compris en sixième. Ce ne sont pourtant pas les besoins qui manquent. Études dirigées, SOS-maths, ateliers divers, … pourraient faire partie des services.

Le cas des ZEP est particulièrement flagrant : les enseignants les plus actifs y sont submergés. Les heures supplémentaires proposées ne sont pas toujours toutes utilisées. Ce sont des décharges d’enseignement qui seraient nécessaires.

L’enseignement des mathématiques, à tous les niveaux, passe par un travail d’équipes. La constitution d’équipes disciplinaires soudées est un gage de qualité des enseignements et, plus particulièrement, dans les établissements dits difficiles. Le collège de l’an 2000 doit reconnaître cette qualité et se donner les moyens d’intégrer dans le service des enseignants les heures de concertation nécessaires. L’existence de ces équipes est une aide à l’intégration d’un jeune ou d’un nouvel enseignant.

Un établissement devrait veiller à ce que ces jeunes enseignants ne commencent pas leur carrière dans des conditions trop difficiles : éviter de leur donner des classes réputées difficiles. Les débutants devraient, particulièrement dans des établissements difficiles, avoir un service allégé (mi-temps par exemple) pour leur permettre de poursuivre leur formation et d’affronter dans de meilleures conditions les difficultés de leur métier.

 

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