L’A.P.M.E.P. demande le retrait du projet de programmes de l’école.
« Plus courts » signifierait-il « meilleurs » ?
Le 20 février dernier, le Ministre de l’Education Nationale dévoilait, en période de vacances scolaires, des projets de programmes pour l’école primaire « soumis à consultation ».
Il est raisonnable de s’interroger sur la pertinence de modifier ainsi très rapidement les programmes de l’école et ce, d’autant plus qu’ils avaient déjà été revus en 2007 ; rappelons qu’aucun des deux programmes précédents 2002 ou 2007 n’ont été scientifiquement évalués, à un moment où on réaffirme un pilotage par l’évaluation. Le Ministre présente les nouveaux programmes comme des programmes courts, écrits dans un langage clair, lisibles par tous (enseignants et parents) et impose un retour « aux méthodes beaucoup plus traditionnelles, beaucoup plus mécaniques qui permettent aux enfants en difficulté de s’en sortir » [1].
Sans concertation, mais avec un semblant de consultation précipitée menée au niveau des écoles, parallèlement à un simulacre de consultation grand public sur le serveur ministériel, le Ministre propose pour la rentrée 2008 de nouveaux programmes rédigés dans l’opacité, sans étayage scientifique des choix effectués, indépendamment du reste de la scolarité obligatoire et sans document d’accompagnement, au contraire des programmes précédents.
Le corps de ces programmes ne fait pas référence au socle commun et son libellé est effectivement plus court (un tiers du précédent en nombre de pages). Ainsi, le programme de mathématiques du cycle des apprentissages fondamentaux (ex CP et CE1) est réduit à une demi-page, celui du cycle des approfondissements (ex CE2, CM1 et CM2), à environ une page. Cette réduction ne signifie cependant pas allégement. En effet, la baisse de l’horaire de mathématique s’accompagne d’un alourdissement du programme de l’école primaire proposé (multiplication par un décimal non entier, division de deux décimaux non entiers, cylindre, prismes droits, cône, pyramide, longueur du cercle, aire du triangle, volume du pavé droit).
De surcroît, au CP-CE1, en sus de la numération, les élèves doivent connaître les techniques opératoires (addition, soustraction, multiplication, division par 2 et par 5). L’introduction précoce de ces techniques se fera aux détriments du calcul mental et du sens de ces opérations. Avec un tel cahier des charges, la réaffirmation de la liberté pédagogique accordée aux maîtres dans le préambule de ces programmes ne serait-elle pas démagogique eu égard aux contraintes dictées par les progressions et des évaluations annuelles renforcées ? Ainsi la progression impose la « règle de trois » comme entrée dans la proportionnalité au CM1 alors que ce sont les propriétés de linéarité qui apparaissent le plus spontanément chez les élèves. Un tel verrouillage est contradictoire avec la déclaration de la liberté du choix pédagogique.
Par ailleurs, le « libre choix des méthodes et des démarches témoignant de la confiance accordée aux maîtres pour une mise en oeuvre adaptée aux élèves » affiché dans ce projet, est-il compatible avec cette affirmation péremptoire et exclusive : « Les connaissances et compétences s’acquièrent par l’entraînement. » ? En 2007, les programmes indiquent : « la résolution de problèmes est au centre des activités mathématiques et permet de donner leurs significations à toutes les connaissances qui y sont travaillées. » [2]. Les programmes précédents de 2002 affirmaient que « L’élaboration des connaissances se réalise au travers de la résolution de problèmes, leur maîtrise nécessite des moments d’explicitation et de synthèse et leur efficacité est conditionnée par leur entraînement dans des exercices qui contribuent à leur mémorisation » [3]. Ceci rejoignait les préoccupations du groupe Problématiques de notre association. Dans le projet de programme, la résolution de problèmes est réduite à « faire intervenir » les notions préalablement étudiées. Une telle pédagogie mécaniste réduisant le rôle et la place des problèmes dans les apprentissages ne contribuera certainement pas à donner du sens aux mathématiques pour les élèves en difficulté. Ainsi, ce choix d’« aller des connaissances à la résolution de problèmes » nous semble bien fâcheux et bien loin de la déclaration du préambule « L’école primaire doit avoir des exigences élevées qui mettent en œuvre à la fois mémoire et faculté d’invention, raisonnement et imagination, attention et apprentissage de l’autonomie, respect des règles et esprit d’initiative ».
Les enquêtes internationales PISA sont avancées pour justifier ce changement de programme alors qu’aucun des élèves français testés n’a suivi une scolarité conforme aux programmes de 2002. Les faiblesses signalées relèvent essentiellement de l’absence de prise d’initiative qui se traduit par l’incapacité des élèves français à résoudre des problèmes non familiers. Comment justifier alors cet alourdissement des programmes et l’introduction prématurée des techniques ?
Dans un moment d’égarement, transportons les logiques de ce projet de programmes en première scientifique. Quelles conséquences pédagogiques aurait un programme sur les dérivées en première scientifique qui se limiterait à « Les élèves apprennent à dériver. » avec une progression précisant « Calculer la dérivée d’une fonction : polynôme de degré au plus 3, inverse, racine carrée, sinus et cosinus » ? Certains pourraient approcher ce concept par son sens, d’autres de manière exclusivement calculatoire, techniciste et automatique.
Ce travail bâclé sur les programmes de l’école va-t-il se poursuivre au collège et au lycée ?
Jean-François Bergeaut, Serge Petit