Notre analyse de la situation au collège
La position du collège est par définition difficile. Il accueille un public hétérogène d’élèves dont les uns seront orientés en lycée professionnel, les autres en lycée d’enseignement technique ou général. Comment maintenir un enseignement de qualité sans décourager et mettre en échec toute une partie de ces élèves ? Jusqu’à présent, personne ne sait répondre à cette question.
Le malaise, voire le mal-être des enseignants de collège, a été décrit avec une grande honnêteté dans le rapport Dubet qui a clos la consultation nationale des collèges. Les problèmes et les difficultés dont il est fait écho dans ce rapport sont sans commune mesure avec les quelques aménagements proposés par la suite.
Depuis un certain nombre d’années, les soucis de bonne gestion administrative semblent prendre le pas sur l’ambition pédagogique. La notion de fourchette horaire en est une bonne illustration.
Répartition des fourchettes horaires sur des critères administratifs et non pédagogiques
La répartition des fourchettes horaires dans les différentes disciplines se fait selon le potentiel horaire des enseignants en poste. Dans une discipline où les enseignants sont globalement en sous-service, les élèves vont bénéficier d’un horaire maximal et les enseignants intégrer dans leur service différentes actions : parcours diversifiés, aides individualisées ou autres... Dans une autre discipline où, au contraire, les enseignants ont tous des services complets, les élèves doivent se contenter de l’horaire-plancher.
Un parcours diversifié peut être ainsi imposé à un enseignant en sous-service, sans qu’il ait souscrit à ce projet, alors qu’un autre enseignant doit effectuer une partie de son service en heures supplémentaires (payées en HSE), simplement pour assurer le minimum dû aux élèves.
Rythmes de travail et horaires-planchers
L’horaire-plancher ne permet de couvrir le programme de mathématiques qu’au rythme des meilleurs. Dans une classe hétérogène, son application crée une situation de pénurie. Il devient difficile de mettre en œuvre des méthodes pédagogiques qui ont pourtant fait leurs preuves : le travail de groupe, l’aide mutuelle et les débats entre élèves prennent du temps. Pour « avancer », l’enseignant est amené à intervenir plus « magistralement » et à donner plus de travail à la maison, source d’inégalités. Finalement, des élèves qui devraient suivre normalement se retrouvent en difficulté et rejoignent la cohorte des demandeurs de soutien.
Du seul point de vue pédagogique, le souci de ne pas alourdir l’horaire-élève est hors de propos en collège. Si certains horaires sont effectivement très lourds, cela résulte d’un choix d’options, par exemple anglais renforcé et latin en quatrième, qui ne concerne qu’une minorité de bons élèves. Beaucoup d’élèves de collège ne travaillent qu’encadrés. Souvent, s’il n’y a pas de relais parental, l’essentiel du travail est fourni au collège. Réduire le temps passé au collège ne peut être profitable qu’aux enfants qui vivent dans un contexte culturel favorisé.
Le développement de l’aide individuelle, d’études dirigées ou encadrées, est nécessaire, mais il ne doit pas se faire en rognant sur les heures de travail collectif, faute de quoi on crée chaque année des difficultés auxquelles il faudra remédier l’année suivante.
Marginalisation croissante des élèves en difficulté
Le collège reçoit en Sixième des élèves qui ont un taux de réussite de l’ordre de 20 % aux tests de début d’année. Ce ne sont pas quelques heures de remise à niveau qui peuvent redresser de telles situations. Il est hypocrite de le laisser croire. C’est beaucoup plus tôt qu’il faudrait s’occuper de ces élèves, probablement dès le CP.
Même pour des cas moins extrêmes, on constate que les élèves arrivant en Sixième avec un niveau très faible ont un avenir scolaire très compromis. Souvent le redoublement n’améliore pas la situation ; on retrouve ces élèves, dans le meilleur des cas, en Quatrième d’Aide Et Soutien, de plus en plus déconnectés, parfois révoltés. Ceux qui ne sont pas admis dans des Quatrièmes d’Aide et Soutien, ou dont les parents ont refusé cette possibilité, ont ensuite des dossiers trop mauvais pour être admis en LP ou en Troisième d’Insertion.
Outre que la situation que vivent ces élèves est inacceptable, ce problème pèse lourdement dans les classes. À partir d’une certaine proportion d’élèves en échec, une classe bascule et devient une classe difficile, c’est-à-dire une classe où l’on travaille peu, et dans de très mauvaises conditions.
Peut-on compter sur l’ajout de quelques heures de Technologie pour remédier à cette situation ? Les arguments donnés dans les instructions font encore une fois appel à l’opposition concret - abstrait. Certains élèves ne pourraient apprendre que par le détour du concret. Si tel est le cas, c’est tout l’enseignement qu’il faut repenser pour ces élèves.
La plupart des mesures prises pour les élèves en difficulté sont jugées inefficaces à l’usage, et sont abandonnées. C’est que l’on continue toujours de comparer ces élèves à un standard qu’ils n’arrivent jamais à rattraper. Le coût des solutions mises en œuvre paraît toujours trop élevé par rapport aux résultats. Un système d’enseignement qui se veut démocratique doit accepter de consacrer des moyens suffisants à l’éducation des élèves qui ont des difficultés, et la situation actuelle est inacceptable.
Quelle diversification ?
Dans ces conditions, nous restons perplexes devant l’introduction des Travaux Croisés en Quatrième. Les parcours diversifiés dont ils prennent théoriquement la place n’étaient pas obligatoires, et pouvaient recevoir diverses interprétations. Les Travaux croisés sont imposés à tous, à moyens constants. La définition de leur contenu et des modalités de mise en œuvre est, en revanche, laissée à l’initiative des enseignants. On peut craindre que cela crée, une fois de plus, des oppositions stériles entre disciplines.
Pour les mathématiques, cette perspective est inquiétante. En effet, l’horaire-plancher de 3,5 heures n’est pas tenable en Quatrième, niveau où l’hétérogénéité des élèves est maximale et le programme très consistant. Dans nombre de collèges, l’application des dernières directives se traduira par le passage à l’horaire-plancher, sans pour autant que soit possible la participation de quelques élèves à des Travaux Croisés incluant les mathématiques.
Rappelons qu’il a existé un système simple qui permettait une diversification au sein d’une même classe : trois heures en classe entière et une heure dédoublée (4 heures-élève, 5 heures-professeur), pour chaque classe de Sixième et Cinquième.
Dans un tel cadre, étendu à plusieurs disciplines, il serait possible de concevoir des adaptations diverses suivant la classe et le contexte de l’établissement.
Conclusion :
Nous restons convaincus de la nécessité de quatre heures de mathématiques pour chaque élève dans toutes les classes du collège.
Notre pratique dans les classes nous prouve à l’évidence que l’horaire-plancher est intenable et antidémocratique, car il ne permet qu’aux plus rapides d’acquérir les éléments de base du programme. La désaffection pour les séries scientifiques au lycée ne nous étonne pas du tout dans ce contexte. Elle s’aggravera encore si la généralisation des Travaux Croisés augmente le nombre d’établissements où s’applique l’horaire-plancher en mathématiques.
Nous demandons l’annulation de la mesure rendant obligatoires les Travaux croisés sans moyens supplémentaires.
La mise en place de travaux interdisciplinaires demande un travail approfondi entre enseignants de diverses disciplines. Elle doit faire l’objet de véritables expérimentations dont les modalités et les résultats doivent être rendus publics.
Nous demandons que soit réaffirmée l’importance des apprentissages fondamentaux.
Nos élèves se dispersent dans un grand nombre d’activités, scolaires et extra-scolaires, et manquent trop souvent des structures de base. Une formation de qualité doit redonner la priorité aux apprentissages fondamentaux, parmi lesquels la maîtrise de la langue, l’apprentissage des outils mathématiques élémentaires et du raisonnement logique nous semblent essentiels.
Au-delà du seul enseignement des mathématiques, nous considérons que le système actuel n’est pas satisfaisant, qu’il est source de confusion et de désarroi pour les élèves, les parents et les enseignants.
La complexité des situations et, en conséquence, la nécessité d’un chantier permanent de réflexion sur l’enseignement au collège doivent être reconnues