Rapport sur la série S : réactions
En novembre dernier, l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale a remis aux ministres de l’Éducation Nationale et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche le rapport « La série scientifique au cycle terminal du lycée : articulation avec le cycle de détermination et orientation vers les études scientifiques ». Ce rapport suscite de vives réactions….
La première partie du rapport fait un état des lieux
Dès les premières lignes, le ton est donné : il s’agit, encore et toujours, de lutter contre le déclin de la série L ; c’est ce déclin, et la nécessité d’adopter pour le contrer une « approche systémique » qui motive la réflexion sur la série scientifique.
Cette étrange façon d’aborder la question des études scientifiques au lycée nous poursuit tout au long du rapport : il ne s’agit pas de renforcer la place des études scientifiques si malmenées dans la dernière décennie, mais de « mettre fin à la suprématie de cette série », car la réforme précédente n’y est pas parvenue !
Haro sur le baudet !
On a pourtant multiplié les options littéraires et technologiques et évité en seconde tout enseignement optionnel scientifique : on sait l’acharnement qu’il faut pour parvenir à monter une « option science » ! On a réduit drastiquement les horaires de mathématiques, rendant quasiment impossible ou en tout cas très difficile pour professeurs et élèves, son enseignement. Rien n’y fait : certes, la part de la série S stagne (32,5 % des élèves de terminales en 2006, contre 31,3 % en 94), mais elle reste attractive ; les élèves s’obstinent à s’y aventurer, en particulier les filles qui y sont presque aussi nombreuses aujourd’hui que les garçons (46,2 % de filles en 2005-2006 ), le rapport les juge d’ailleurs envahissantes, car il suggère curieusement que cette progression se ferait « au détriment des garçons » !
Cette difficulté n’est pas reconnue par les auteurs du rapport qui reprochent aux enseignants des « pratiques malthusiennes implicites destinées à maintenir un haut degré de sélectivité ». Oui, les enseignants conseillent à des élèves fragiles en mathématiques en seconde d’éviter la première S, parce que nous ne voulons pas les envoyer vers un échec plus que probable : nous savons que l’enseignement y est donné au pas de course, et qu’ils y seraient laminés ! La première S est élitiste parce que les conditions d’enseignement y sont trop précaires pour des élèves lents, parce qu’il n’y a plus aucun dispositif de soutien, parce que le programme de mathématiques est impossible à boucler dans le temps imparti, parce que la plupart des élèves y réussissent à grand renfort de cours particuliers. Ce ne sont pas des exigences hors de propos des professeurs qui ont rendu cette série si difficile, c’est son organisation aberrante qui ne laisse pas aux élèves le temps de comprendre et d’apprendre : ainsi le ministère nous rend cet enseignement difficile, puis nous le reproche ! Bien sûr, les élèves qui acceptent et supportent cette difficulté sont d’origine sociale plus favorisée, ils ont des parents plus diplômés, ils sont moins souvent en retard dans leur scolarité, et ils avaient au collège de meilleures notes en mathématiques. Ils ont aussi plus de mentions au bac, et réussissent mieux dans l’enseignement supérieur. Quelle surprise !
L’évolution dans les choix de poursuites d’étude est examinée : comme on le sait, c’est la baisse des inscriptions à l’université en Sciences « dures », particulièrement en Physique, qui est la plus notable, mais la part globale des poursuites d’études en sciences (études de santé incluses) est passée en 10 ans de 80 % à 68,5 % . C’est la preuve que notre section S est plus décourageante que les anciennes sections C et D : ce constat à lui seul devrait inciter à adopter une organisation des études plus raisonnable !
Suit un rapide survol des choix d’option en Seconde
Le rapport découvre que les élèves de MPI se dirigent massivement vers la première S, alors que les élèves de l’option IGC se retrouvent en série STG : ils avaient les uns et les autres choisi leur option pour cela : bizarrement, les auteurs du rapport semblent regretter qu’un élève choisisse son option en lien avec son projet d’orientation. Ainsi l’option SES est plébiscitée parce qu’elle « ouvre des possibilités d’orientation assez larges », elle « permet de choisir entre les différentes séries de première ». La vérité est que cette option est largement présente dans tous les établissements parce qu’elle est peu coûteuse, et beaucoup d’élèves la choisissent par obligation, à défaut de trouver l’enseignement scientifique ou technologique qu’ils souhaiteraient ! Ce sont en effet surtout les effectifs de l’option SES qui diminuent lorsqu’une option sciences voit le jour. Imposer l’option SES puis déclarer que les chiffres montrent qu’elle ouvre toutes les portes, c’est se moquer du monde !
La conclusion de cette étude est que l’organisation actuelle ne permet pas de garantir un flux suffisant de futurs scientifiques. Nous le savions, et avec le collectif ActionSciences, nous proposons entre autres une option « sciences » en seconde pour améliorer cette situation.
Suit un examen des efforts faits un peu partout pour pallier l’absence d’option scientifique : les élèves de seconde avides de sciences cherchent une option à caractère scientifique ; c’est ainsi que l’option MPI est détournée de son objet initial, qui était de favoriser une orientation en section technologique. C’est hypocrite, dit le rapport. Non, c’est faute de mieux que les élèves choisissent l’option MPI, mais assez peu les filles contrairement à l’option « sciences » et c’est la démonstration que notre classe de seconde a besoin d’un véritable enseignement optionnel scientifique.
Le succès de l’option « sciences », rapidement décrite, auprès des élèves en est une autre preuve. Mais cet engouement est considéré comme une stratégie immorale : « La volonté affichée au départ de recruter en S par ce biais des élèves a priori peu tournés vers les sciences risque d’être occultée par le flot de demandes émanant d’élèves et de familles cherchant simplement la voie la plus sûre vers des études du plus haut niveau. »
La position des auteurs du rapport est incompréhensible : le discours, manifestement écrit à plusieurs mains, est confus et contradictoire mais la méfiance règne manifestement, face à cette demande d’enseignement scientifique en seconde, qui est présentée comme pernicieuse et hautement suspecte, car porteuse d’ambitions déplacées et quasiment moralement condamnable.
Le système des options de détermination est à la fois illisible et hypocrite, conclut le rapport. Il est surtout illogique : aucune des options ne prépare à la série générale la plus importante, alors que la demande est criante, et reconnue par le rapport !
Le rapport montre ensuite que la série S est généraliste, et en pointe la vraie raison : c’est que les exigences dans les disciplines non scientifiques y sont aussi grandes que dans les autres séries. On regrette ensuite le caractère théorique et abstrait de l’enseignement scientifique « en particulier en mathématiques », tout en se félicitant de l’évolution de l’enseignement des sciences vers des pratiques plus expérimentales, et en particulier de l’apparition des épreuves pratiques au baccalauréat. Une discussion sur la distinction entre « trop formel » et « théorique et abstrait » tempère ce discours quelque peu convenu.
Suit une étude des spécialités « qui n’ont pas les effets escomptés ». « Outre qu’une hiérarchie s’est installée entre les spécialités, le choix des élèves obéit souvent à des raisons utilitaristes ». L’enseignement des mathématiques est si difficile en première S que peu d’élèves osent affronter un coefficient 9 au bac, et ce sont des élèves à la fois solides et motivés qui choisissent la spécialité maths. Ils sont d’ailleurs de moins en moins nombreux à le faire. (Le ministre Allègre a très bien réussi à étouffer l’enseignement des mathématiques qu’il haïssait !). La spécialité maths fait donc figure de filière prestigieuse, plus de 43 % de ses élèves continuent leur scolarité en classe préparatoire, alors qu’ils sont 18 % de la spécialité physique et 7 % de la spécialité SVT.
Le rapport regrette que le choix des élèves soit peu lié à l’intérêt de la discipline choisie pour leurs projets d’études supérieures : comment s’en étonner, alors que ce choix n’engage à rien puisqu’il est interdit dans les dossiers de mentionner la spécialité ! On nage en pleine incohérence !
On regrette ensuite que les notes soient trop sévères, « souvent inférieures à celles qui seront obtenues le jour de l’examen ». C’est méconnaître le statut de l’évaluation formative que nous pratiquons en classe, et qui n’a rien à voir avec l’évaluation du baccalauréat ainsi que le préconise d’ailleurs l’Inspection Générale dans ses recommandations : l’objectif de la classe de terminale n’est pas seulement le succès à l’examen, il est surtout la préparation à une poursuite d’études réussie. Et quand on connaît les acrobaties pratiquées lors de l’élaboration des barèmes pour maintenir coûte que coûte des taux de réussite à 80% et plus, on ne peut que s’en réjouir ! Ici encore, haro sur les professeurs de mathématiques.
Dans une deuxième partie, le rapport fait des propositions pour « repenser l’organisation du lycée ».
Faut-il maintenir l’organisation actuelle ?
Le rapport reconnaît que la désaffection pour les études scientifiques « est plus liée à des facteurs propres à l’enseignement supérieur qu’aux dysfonctionnements de la filière S du lycée »,
Il reconnaît aussi que « le besoin d’une formation secondaire alliant disciplines scientifiques et non scientifiques… devrait être ressenti par tout élève qui ambitionne de poursuivre des études supérieures scientifiques longues » et conclut par : « le fait que de l’ordre d’un jeune sur dix-huit, dans chaque génération, reçoive une formation secondaire scientifique sans pour autant poursuivre des études supérieures dans ce domaine ne peut être que bénéfique pour notre société et pour notre économie, compte tenu de la place qu’y jouent aujourd’hui les évolutions scientifiques et technologiques. » Ouf, on respire, étudier en série S n’est donc pas qu’une stratégie moralement condamnable.
« La crainte de manquer de scientifiques ne se vérifie pas encore », poursuit le rapport. Il constate que les titulaires de diplômes en sciences appliquées sont recrutés en priorité et sont en moyenne mieux payés que les titulaires d’un diplôme en sciences fondamentales, et que « ces disparités s’accroissent en période de conjoncture difficile ». Sa conclusion est claire : « la préférence pour les filières sélectives, qu’il s’agisse de formations professionnelles courtes, ou de formations d’ingénieurs répond simplement au souci des jeunes (et de leurs familles) de mettre le maximum de chances de leur côté pour réussir leur entrée dans la vie active. »
Sont mentionnés, notons-le, des « dispositifs de pré-recrutement », « pour pallier des difficultés éventuelles de recrutement d’enseignants et de chercheurs ».
Malgré ces arguments qui plaident en faveur du maintien d’une série S, les auteurs le refusent. Pourquoi ? …Eh bien c’est l’effondrement de la série L qui suffit à condamner l’organisation actuelle. Pourquoi avoir écrit 30 pages sur la série S ? La conclusion était déjà connue…
Le rapport étudie ensuite, et au conditionnel pour illustrer le raisonnement par l’absurde, les effets supposés d’un renforcement du caractère scientifique de la série S. On n’y parle pas des bénéfices que pourrait y trouver l’enseignement des sciences. On a compris qu’il intéresse peu les auteurs du rapport. On y disserte sur ce qu’y serait un enseignement du français, de la philosophie et de l’histoire, pour en déduire des risques graves : ce serait une perte d’attractivité de la série S… pourquoi ? L’argument est étonnant et tout à fait discutable : la filière L se serait effondrée parce que trop spécialisée en lettres, et une filière S trop spécialisée en sciences s’effondrerait de la même façon ! On ne peut donc pas parler dans ce pays de l’enseignement des sciences sans se voir ramené encore et toujours par les cadres dirigeants du système éducatif à l’évolution de la section L, jugée « illustrative de ce qui pourrait arriver à la série S si l’on suivait cette voie » alors que l’effondrement de la section L est essentiellement du à un rééquilibrage de l’orientation des filles, qui recherchent désormais des filières débouchant sur une gamme plus étendue d’emplois et de responsabilité.
Cet argument spécieux suffit aux auteurs à écarter d’un revers de manche l’évolution souhaitée par l’ensemble de la communauté scientifique et réclamée par le collectif ActionSciences : la promotion d’une section véritablement scientifique.
La troisième solution étudiée est à l’opposé : c’est la fusion des trois séries en une seule, avec un tronc commun unique et des options. Ce lycée unique est fort heureusement rejeté (hélas, c’est provisoire !)
Le rapport apporte enfin sa solution, en deux étapes :
en seconde, il propose un enseignement organisé en trois séquences successives correspondant aux trois trimestres, l’une concernant les séries S et STI, l’autre les séries ES et STG, la troisième la série L. Menu unique pour tous ! On cite tout à la fois, en modèle pédagogique, les itinéraires de découvertes, la découverte professionnelle, les PPP, les TPE et les TIPE. Le modèle donné est celui développé à la cité internationale Europôle à Grenoble, développé en annexe. Sa plus grande vertu ? le dispositif instauré a réussi à ramener l’effectif de la section L de 8 à 24 élèves !!
Le cycle terminal : il s’agit d’instaurer des « parcours à dominante ». La différence avec le lycée unique pourtant écarté plus haut n’est pas claire : on propose en effet un tronc commun constitué « d’enseignements disciplinaires généraux » et des enseignements d’approfondissement, modulés en « mineur » et « majeur ». Ce schéma reste très flou : d’abord vu comme un schéma d’évolution de la série scientifique, il est ensuite proposé en modèle général : « une voie générale reconstruite éviterait les effets pervers dus à une hiérarchisation des séries, la notion de série disparaissant au profit de la construction de parcours personnalisés ». Ne nous y trompons pas, il s’agit encore et toujours de sauver les enseignements littéraires, et la question de l’enseignement scientifique, qui n’est jamais vu que comme un mal nécessaire, n’est tout simplement pas abordée. « Un élève brillant souhaitant poursuivre des études supérieures littéraires s’inscrit souvent en section S où il est obligé de suivre des enseignements scientifiques dont il ne tire pas pleinement profit ; il se trouve par contre privé d’une formation littéraire répondant à ses attentes. Le dispositif préconisé permettrait à cet élève de choisir des enseignements d’approfondissement majoritairement littéraires, et pourquoi pas, s’il y trouve de l’intérêt, de choisir aussi une mineure scientifique ».
Si quelque lecteur naïf croyait encore que ce rapport était consacré à la question de l’enseignement des sciences au lycée, ces quelques lignes lui ôtent toute illusion : ce n’est pas de cela qu’il s’agit !
Le lycée unique revient alors en force : le « tronc commun assurerait pour tous la formation de l’honnête homme du 21ème siècle… le viatique qui lui sera nécessaire... ». On connaît ce viatique en mathématiques, c’est le programme de première L. Les élèves scientifiques vont-ils devoir supporter le pensum d’un cours de base pour tous avec pourcentages et lecture graphique à longueur d’année, et se contenter en sus d’un maigre contingent supplémentaire où il faudra au contraire courir plus que jamais pour apprendre les fondements élémentaires de l’analyse et de l’algèbre ? Espérons que les « regroupements pour les enseignements de tronc commun » préconisés en toute fin de rapport permettront d’éviter le massacre. Car ce serait la mort définitive d’un enseignement des mathématiques déjà bien mal en point.
Mais silence ! Il faut sauver la section L ! On croit entendre le faux médecin de Molière répéter : « Le poumon, vous dis-je ! ».
Ce rapport tant attendu est tout à fait désespérant. Nous attendions une étude sur l’enseignement des sciences au lycée. Nous sommes très déçus et extrêmement inquiets ! Car quels sont les buts poursuivis et quels sont les vrais enjeux ? S’agit-il ici de sauver les enseignements littéraires ou d’assurer la qualité de la formation scientifique de nos jeunes ?
Malgré les difficultés, la qualité de la formation des bacheliers S est partout reconnue, autant dans les filières académiques que dans les filières technologiques. Ce rapport le dit, et le présente comme une réalité insupportable ! C’est donc parce qu’elle marche trop bien qu’il faut tuer la série S ? Nous refusons cette vision masochiste. Résolvons les vrais problèmes de l’école, qui sont la question des élèves en difficulté et de la motivation des jeunes à étudier. Mais ne commettons pas l’erreur de détruire notre enseignement scientifique !