L’instabilité de la formation des enseignants nuit à l’efficacité du système éducatif tribune du 7 mai 2024

tribune du Collectif Maths&Sciences dans Newsletter du Monde de l’Éducation — 7 mai 2024

Alors qu’une nouvelle réforme de la formation des enseignants a été annoncée par Emmanuel Macron en avril, le collectif « Maths&Sciences » dresse un panorama des changements à mener. Un chantier qui va bien au-delà, selon le collectif, de la seule architecture des concours : revoir seulement l’architecture des concours est insuffisant ; améliorer les conditions de travail, la formation continue et revaloriser les salaires restent nécessaires.

tribune
mardi 7 mai 2024

Le maintien, voire l’augmentation du niveau de connaissances d’une population est la condition sine qua non de son adaptation au monde de demain. À cet égard, la qualité du recrutement et de la formation des enseignants est cruciale. Des réformes sur un temps long, pensées avec les acteurs de terrain ; une planification et une évaluation transparente des réformes ; une action de fond sur la valorisation du métier d’enseignant ; une refonte réfléchie et concertée : tels sont à nos yeux les ingrédients indispensables pour y parvenir.

Dans son rapport de 2023, la Cour des comptes soulignait déjà l’instabilité de l’organisation de la formation initiale et des recrutements des enseignants. Une instabilité due à un enchaînement de réformes - quatre depuis 2010 - qui semble être une exception française. Cette instabilité de la formation des enseignants nuit à l’efficacité du système éducatif et entrave l’évaluation des dispositifs, indispensable à l’identification des moyens d’amélioration. Pour réussir une réforme, la décider verticalement ne suffit pas. Comme le rappelle régulièrement l’OCDE [1], « les réformes ne sont efficaces que si elles sont adoptées par l’ensemble du système ». Concevoir les réformes éducatives sur le temps long en impliquant largement les professionnels de l’éducation et qui s’appuient sur des évaluations rigoureuses et transparentes des dispositifs en place permettrait donc d’augmenter les chances de réussir les réformes. Pourquoi ne pas essayer ce qui est préconisé par l’OCDE ?

La mission des pouvoirs publics, c’est aussi d’adapter le métier d’enseignant aux besoins actuels, notamment en organisant les recrutements et en garantissant des conditions de travail appropriées. Veiller à évaluer l’évolution des besoins suppose de garantir un vivier de personnes susceptibles d’entrer dans le métier. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas anticiper et publier chaque année une planification des recrutements sur cinq ans, révisable annuellement, comme le prévoit le code de l’éducation ?

Autre point incontournable : la baisse d’attractivité du métier d’enseignant. Elle se traduit par une baisse de sélectivité des concours due à la baisse du nombre de candidats, un recours accru aux contractuels ou des postes vacants. Selon le dernier rapport PISA de 2022 [2], la France est le pays de l’OCDE qui a subi la plus forte dégradation depuis 2018. Entre ces deux dates, la réforme de la formation initiale a repoussé le concours en fin de master et fait chuter les candidatures. La première origine de cette chute brutale d’attractivité est donc structurelle. Elle était prévisible puisqu’en 2010, les mêmes causes avaient produit les mêmes effets. De nouveau, il est question d’avancer le concours. C’est une résolution qui va dans le bon sens, sous réserve de garantir les conditions permettant une bonne organisation de sa mise en œuvre.

Mais cette réforme ne résoudra pas tout, car le déficit d’enseignants dépasse nos frontières et touche l’ensemble des pays de l’OCDE. Pour comprendre comment agir, la Cour des comptes a fait réaliser une enquête auprès des étudiants en 2022. Il en ressort que si l’intérêt pour le métier d’enseignant se nourrit de la transmission des savoirs et du lien social avec les élèves, son rejet est attribué à l’image dégradée du métier : mauvaises conditions de travail et bas salaire au premier chef. Pour améliorer cette perception, il faudra donc agir sur ces sujets. Revaloriser les salaires, diminuer le temps devant la classe, favoriser le développement professionnel sont autant de pistes à prendre en compte pour garantir un vivier d’enseignants épanouis et performants.

Notons à ce propos que le coût « enseignant par élève » en France est l’un des plus faibles de tout l’OCDE, et le plus bas comparativement aux résultats en maths des élèves. Nulle amélioration du niveau des élèves n’est donc envisageable sans augmentation de cet investissement. Le gouvernement sera-t-il prêt à s’engager ? L’enquête de la Cour des comptes montre également que la formation initiale en place entre 2013 et 2021 est appréciée par les étudiants. Malgré une année de stage à mi-temps reconnue comme trop chargée, l’articulation étroite entre les savoirs théoriques et académiques et les savoirs professionnels dispensés pendant le master permettaient néanmoins de construire le socle d’un enseignement de qualité. En particulier, une bonne maîtrise des savoirs disciplinaires est indispensable à la qualité de l’enseignement et son efficacité sur les performances des élèves. Par conséquent, préserver la formation initiale dans un master universitaire dans lequel les enseignements disciplinaires et didactiques conservent leur importance actuelle est une condition indispensable à la qualité des futurs enseignants. Pour les mêmes raisons, les personnels contractuels devraient bénéficier d’une formation systématique et rémunérée. Enfin, pour améliorer l’orientation vers les formations à l’enseignement, la rémunération des étudiants est un facteur qui garantit la qualité des études et améliore leur réussite. Aussi, payer convenablement les étudiants en master lauréats du concours et renforcer les dispositifs de bourses dès la licence constituent des éléments essentiels pour la valorisation de la filière.

Pour autant, la formation initiale ne constitue pas la principale voie d’accès au métier. Environ la moitié des lauréats du capes en maths aujourd’hui ne proviennent pas des filières d’enseignement. La tendance à l’augmentation du recours aux contractuels nécessite de considérer la formation continue comme un levier majeur pour l’amélioration du métier. En France, avec 18 heures par an pour les professeurs des écoles et souvent moins d’une journée annuelle pour les enseignants des collèges et lycées [3], la formation continue des enseignants est dérisoire au regard d’autres pays comme Singapour où 100 heures de formation annuelle sont garanties. Le manque de structuration et de reconnaissance de la formation continue ou l’augmentation des contraintes administratives noircissent encore le tableau. Pourtant des structures comme les instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques (IREM) constituent depuis plus d’un demi-siècle les chevilles ouvrières d’une formation continue de qualité.

Articuler la formation en lien avec les universités, coopérer entre tous les acteurs, donner les moyens à la hauteur des besoins des structures existantes en privilégiant l’horizontalité des échanges de savoirs et en valorisant les enseignants engagés dans leur formation professionnelle constituent des pistes d’amélioration qui restent à construire.

 

Les membres signataires du Collectif « Maths&Sciences »

  • Mélanie Guenais
    vice-présidente de de la société mathématique de France et coordinatrice du collectif Maths&Sciences
  • Lara Thomas
    vice-présidente de l’association des professeurs scientifiques des classes préparatoires BCPST, TB et ATS
  • Yves Bertrand
    président de la société informatique de France
  • Samir Adly
    président de la société de mathématiques appliquées et industrielles
  • Jean-Pierre Archambault
    président de l’association enseignement public & informatique
  • Aline Aubertin
    présidente d’honneur de l’association femmes ingénieures
  • Laurence Bauduin
    présidente de l’institut des actuaires
  • Jean-François Beaux
    président de l’association des professeurs scientifiques des classes préparatoires BCPST, TB et ATS
  • Coralie Bompard
    présidente de la société française de biophysique
  • Julien Bonin
    président de la Division Enseignement-Formation de la Société Chimique de France
  • Anne Boyé
    présidente de l’association femmes et mathématiques
  • Burkhard Bechinger
    président du groupe d’etude des membranes David Causeur membre du bureau de la société française de biométrie
  • Marie-Line Chabanol
    présidente de l’assemblée des directeurs d’IREM
  • Karine Chemla
    présidente du comité national français d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques
  • Delphine Duprez
    présidente de la société française de biologie et développement
  • Fabien Durand
    président de la société mathématique de France
  • Viviane Durand-Guerrier
    présidente de la commission française pour l’enseignement des mathématiques
  • Marie-Line Gardes
    présidente de l’association pour la recherche en didactique des mathématiques
  • Chantal Gauthier
    présidente de la conférence des doyens et directeurs des UFR scientifiques
  • Franck Gilbert
    président de la société française d’écologie et d’évolution
  • Maxime Jacquot
    président du réseau Figure
  • Alain Joyeux
    président de l’association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales.
  • Thomas Morel
    président de la société française d’histoire des sciences et des techniques
  • Anne Philippe
    présidente de la société française de statistiques
  • Claire Piolti-Lamorthe
    présidente de l’association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public
  • Charles Poulmaire
    président de l’association des enseignantes et enseignants d’informatique de France
  • Antoine Rolland
    président de l’association des départements sciences des données des IUT
  • Isabelle Vauglin
    présidente de l’association femmes et sciences

 

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