Les écoles d’ingénieurs peinent à recruter depuis la mise en place du bac réformé
communiqué du 3 septembre 2024
par le Collectif Maths&Sciences
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Décrochage des inscrits en cycle ingénieur en 2023 : quel rôle de la réforme du bac ?
La réforme du lycée général a cinq ans. Elle a remplacé l’organisation du lycée en séries par un système « au choix » qui impose un tronc commun auquel s’ajoutent trois spécialités à choisir parmi treize en première, réduites à deux en terminale. Sans autre enseignement scientifique dans le tronc commun que de la culture générale, la réforme a entraîné une baisse massive de l’accès aux parcours scientifiques, particulièrement importante pour les filles [1]. Elle est assortie d’une perte de polyvalence [2] qui réduit d’autant les possibilités d’études supérieures. Malgré les alertes répétées [3] sur les conséquences délétères de cette organisation, aucune correction systémique n’a été proposée. Le déficit de formation scientifique perdure donc au lycée alors que les besoins s’accroissent, en particulier dans les métiers exigeant un haut niveau de compétences scientifiques et technologiques.
L’étude de l’impact de la réduction massive de l’accès aux sciences au lycée sur les études supérieures devient cruciale pour évaluer la capacité du pays à relever les enjeux sociaux, environnementaux, technologiques et économiques actuels. Les indicateurs publiés [4] pour les cycles d’ingénieurs à la rentrée 2023 correspondent précisément à l’arrivée des premiers diplômés du bac réformé. Ils montrent un recul de 11,5 % du nombre des nouveaux inscrits, revenant au niveau de 2016 à 42 239 étudiants contre 47 745 en 2022. Cette forte baisse rompt avec une augmentation régulière depuis des décennies, malgré un nombre de places qui augmente. Elle présage d’un affaiblissement du niveau des candidats et d’un repli des futurs diplômés en 2026 [5], en contradiction avec les besoins grandissants des entreprises [6] et l’objectif annoncé du gouvernement dans son plan « énergie verte » [7] en 2023.
L’ampleur de ce décrochage rend indispensable une analyse des principales causes possibles, à chercher parmi des événements majeurs. Entre 2020 et 2023, trois bouleversements peuvent être identifiés : la réforme du lycée qui a entraîné la chute des effectifs de bacheliers scientifiques diplômés à partir de 2021 ; la transformation des DUT en BUT [8] , qui concerne pour la première fois les bacheliers 2021 ; la crise sanitaire de mars 2020 à juillet 2021.
La crise sanitaire a été mondiale : un impact négatif aurait dû aussi concerner les recrutements étrangers. Or, ceux-ci sont en forte augmentation [9]. Par ailleurs, le premier confinement ayant perturbé le bac 2020, une nette baisse aurait été constatée dès 2022 ; si un léger recul des nouveaux inscrits en cycle ingénieur apparaît en 2022, il est onze fois moins important qu’en 2023. La crise sanitaire ne semble donc pas avoir contribué significativement à ce renversement de situation.
En allongeant la durée des études, la réforme des IUT concerne à partir de 2023 les étudiants en fin de deuxième année qui doivent poursuivre en troisième année pour passer le nouveau bachelor de technologie. Malgré l’évocation du maintien de passerelles à bac+2 vers l’entrée en cycle ingénieur [10], le nombre d’étudiants issus de ces formations a été divisé par deux entre 2022 et 2023 (- 3 900 étudiants). Cette réforme a donc impacté massivement le vivier des candidats issus des IUT en 2023.
Mais les recrutements provenant des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) sont aussi en baisse de plus de 13 % (-2 250 étudiants), au-dessous de ceux de 2013. La baisse est de 4 % pour les classes préparatoires intégrées (CPI, -550 étudiants) et de 8 % pour les recrutements universitaires (-272 étudiants). La réforme des IUT ne peut expliquer cette diminution de plus de 3 000 étudiants à l’entrée des cycles ingénieur.
Les répercussions de la nouvelle organisation du lycée apparaissent alors comme une piste très sérieuse à prendre en compte. Si la chute des effectifs scientifiques au lycée a entraîné des baisses d’effectifs dans les formations scientifiques supérieures en IUT [11], elle a peu impacté les effectifs des CPGE. En revanche, l’adéquation de la formation initiale des élèves avec les attendus de ces filières scientifiques pourrait être en cause. Ainsi, le décrochage actuel des effectifs des entrants dans les écoles d’ingénieurs quelle que soit leur origine scolaire dans le système français, présage d’une chute du niveau scientifique moyen à la sortie du lycée difficilement compensée au cours des deux premières années du supérieur.
Si on peut espérer une remontée rapide du nombre des entrées en provenance des IUT après obtention du diplôme en 3e année, la durée des études passe de cinq à six ans et risque de freiner l’accès pour les étudiants socialement défavorisés. Recruter davantage à l’étranger pour compenser une perte d’effectifs français est peu réaliste dans un contexte de tension internationale en ingénierie. De plus, sans garantie de la pérennité de l’investissement induit pour le pays, ce choix menacerait la France d’une perte d’indépendance scientifique et technologique.
Le statu quo pour le système éducatif prend alors le risque de compromettre un redressement rapide de la situation. En conséquence, refonder un système de formation efficace et cohérent du lycée jusqu’au supérieur devrait constituer une urgence nationale, pour rétablir au plus vite un vivier satisfaisant d’élèves de formation adaptée aux filières scientifiques. En particulier, l’augmentation significative des heures de sciences obligatoires pour tous les élèves et le maintien de trois disciplines scientifiques en terminale sont incontournables.
Cinq ans après la mise en place d’une réforme du lycée qui a fortement pénalisé la formation scientifique de la nouvelle génération, la place scientifique et technologique de la France à l’international pour les prochaines décennies est à présent en jeu. Quelles qu’en soient les motivations initiales, cette réforme « au choix » risque de ne laisser le choix pour le vivier d’ingénieurs qu’entre deux pertes : la qualité ou la quantité. Notre avenir scientifique dépendra de la volonté du nouveau gouvernement pour sortir de ce dilemme.
Liste des signataires
- Samir Adly
président de la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles - Jean-Pierre Archambault
président de l’Association Enseignement Public & Informatique - Maya Atig
déléguée générale de la Fédération Bancaire Française - Aline Aubertin
présidente d’honneur de Femmes Ingénieures - Jean-François Beaux
président de l’Association des professeurs scientifiques des classes préparatoires BCPST, TB et ATS - Yves Bertrand
président de la Société Informatique de France - Christophe Biernacki
président de la Société Française de Statistique - Coralie Bompard
présidente de la Société Française de Biophysique - Laurence Broze
présidente de l’Association Femmes et Mathématiques - Bechinger Burkhard
président du Groupe d’Etude des Membranes - Bernard Cathelain
président de la Société des Ingénieurs et Scientifiques de France - Marie-Line Chabanol
présidente de l’Association des Directeurs des Instituts de Recherche pour l’Enseignement des Mathématiques - Karine Chemla
présidente du Comité National Français d’Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques - Laurence Devillers
présidente de la Fondation Blaise Pascal - Viviane Durand-Guerrier
président de la Commission Française pour l’Enseignement des Mathématiques - Stéphane Fermigier
président du Conseil National du Logiciel Libre - Isabelle Gallagher
présidente de la Société Mathématique de France - Marie-Line Gardes
présidente de l’Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques - Franck Gilbert
président de la Société Française d’Ecologie et d’Evolution - Laurent Giovachini
président de la Fédération Syntec - Mélanie Guenais
vice-présidente de la Société Mathématique de France et coordinatrice du Collectif Maths&Sciences - Alain Joyeux
président de l’Association des Professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales. - Jean-Claude Laroche
président du CIGREF - Florence Lustman
présidente de France Assureurs - Nicolas Marson
directeur général des éditions Cépadues et président de ISAE-SUPAERO ENSICA Alumni - Thomas Morel
président de la Société Française d’Histoire des Sciences et des Techniques - Claire Piolti-Lamorthe
présidente de l’Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public - Stanislas Pommeret
président de la Société Chimique de France - Charles Poulmaire
président de l’Association des Enseignantes et Enseignants d’Informatique de France - Cécile Proust-Lima
présidente de la Société Française de Biométrie - Loïc Rocard
président de l’association des anciens élèves et diplômés de Polytechnique (AX) - Antoine Rolland
président de l’Association des départements Sciences des Données des IUT - Philippe Setbon
président de l’Association Française de Gestion Financière (AFG) - Isabelle Tanchou
responsable du pôle carrières de l’association des anciens élèves de Polytechnique (AX) - Isabelle Vauglin
présidente de l’Association Femmes et Sciences